Face à la grande question de la radicalisation, la fiction abonde en propositions, dans lesquelles la maladresse l’emporte assez souvent : faire une démonstration qui expliquerait les mécanismes (mal être d’un jeune en manque de repères, finesse psychologique et malfaisante des recruteurs, misère sociale responsable…) est une chose que la presse ou les essais sociologiques ont su poser. Y faire émerger des personnages et des émotions est plus complexe.


Pour son second film, le réalisateur tunisien Mohamed Ben Attia fait avant tout un constat modeste : celui de l’impossibilité de toucher au cœur une telle problématique. Il s’attachera donc à suivre le père du jeune homme, dans un récit qui commence par proposer de fausses pistes (avec, notamment, la question des examens médicaux du fils et de l’inquiétude qu’ils peuvent générer) et pose avec subtilité un point de vue forcément biaisé, parce qu’impliqué émotionnellement au plus haut point.


Le film devient ainsi une course de fond à allure modérée, saturée de manques et de silences, dans laquelle le père entreprend l’ascension d’une montagne d’opacité. L’épure de la mise en scène, assez austère par moments, se laisse contaminer par une lenteur et une inaction qui fait progressivement basculer l’existence du protagoniste dans le cauchemar.


Tout se joue par touches : alors que les premières séquences jouaient d’une belle complicité dans une famille, avec les collègues ou l’épouse, Riadh doit se délester de ces repères, alors que la quête de l’absent se double de l’arrivée de sa retraite. C’est l’occasion d’un tableau authentique et vibrant de la Tunisie contemporaine, où la jeunesse aspire à une destinée qui lui soit propre, quitte à se tromper, et où l’on parle avec une certaine crudité des enjeux sentimentaux comme dans cette scène avec la confidente de Riadh, cash et tout à fait réjouissante. C’est là que se joue la belle relance de sa destinée : face à l’indicible et l’impossibilité d’appréhender un choix et une disparition, le protagoniste devient réellement le personnage principal de sa quête, et va enfin prendre en main le grand oublié de sa vie : lui-même.


(6.5/10)

Sergent_Pepper
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le 1 févr. 2019

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Sergent_Pepper

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