oct 2010:

Diantre, foutre dieu, que le perce-oreille crapahute la coccinelle! Cela faisait une éternité que je n'avais vu un aussi vieux Woody Allen! Et celui-là en plus, la dernière fois que je l'avais vu, c'était sur un 4/3 cathodique que passait une VHS pourrie recadrée. Alors l'idée de revoir ce que d'aucuns considèrent comme une prière maitresse du cinéaste sur un grand LCD avait quelque chose de caressant.

Bizarrement, mon enthousiasme n'est pas été aussi fanfaron que je l'imaginais. J'espérais un plaisir plus vif. Le grand frisson et le sourire béât d'aise. Souvent au cour du visionnage, j'ai pensé à toutes ces scènes vues et archivues dans "Annie Hall", "Meurtre mystérieux à Manhattan", "Hannah et ses sœurs", ces tirades-discussions où Allen échange saillies et réflexions avec des femmes qui se ressemblent toutes en fin de compte. Et puis New-yorkaises surtout. Toujours la même Amérique, une bourgeoisie qu'on affuble du terme "Bohème" à Paris, cet archétype social de nantis préoccupés par des petits problèmes existentiels de plus ou moins riches intellectuels de pays développés.

Une sorte de lassitude m'a pris par moments pendant le film, heureusement matée par la profondeur des réflexions des personnages sur l'amour, la fidélité, ces affres d'égocentriques, ces peurs de vivre seul, ces angoisses de mort qu'une grande et belle ville, toujours fourmillante parait atténuer. Le brouhaha et l'agitation permanents, la palpitation de la ville servent pour certains de pansements, d'environnement compensatoire (quelle vilaine expression!). Quoiqu'il en soit, je crois qu'il faut regarder les choses en face : Woody Allen me parle d'autant plus que je dois être (malgré tous mes efforts et ma volonté de désespéré) un "bobo" moi même. Ces petits tracas nombrilistes, ces petites peurs d'occidentaux entre 30 et 40 ans font partie des questionnements qui s'invitent parfois dans ma caboche et mon petit cœur histoire de les tarauder avec cruauté. S'il fallait une preuve de ce que j'avance, ce long préambule, ces élucubrations sur ma petite personne en sont une illustration parfaite. Revenons donc à Manhattan et oublions mes états d'âme.

Disons donc que le film est susceptible d'éveiller en vous ce genre de masturbation du cervelet. Woody Allen fait un cinéma introspectif qui laisse difficilement indifférent, il suscite la réflexion. C'est déjà un point sensible qui dénote une certaine habileté à transformer un récit particulier, des personnages distincts et des recherches égocentriques en des moteurs de réflexions accessibles à un grand nombre de personnes, d'une portée universelle en somme.

La malin pourrait facilement livrer une œuvre fort tout aussi profonde par le biais d'une étude de mœurs ou de longues discussions certes édifiantes mais vite emmerdantes. Or, Allen pare son discours de jolis atours que ce soit sur le plan formel avec un énorme travail sur la photographie mais également sur le cadre. Quant à sa tonalité d'ensemble, elle s'aventure sur un style dont il est définitivement l'un des plus savants artistes, l'humour.
Entre beauté des images et saveur des dialogues.

Le film ne peut pas être ennuyeux une seule seconde. Moi qui suis si friand et attentif au travail des chefs-opérateurs, je dois avouer que j'ai souvent pris un sacré panard avec l'incroyable ouvrage de Gordon Willis que ce soit sur les intérieurs ou les extérieurs. Les jeux d'ombres et lumières partagent l'espace entre les individus, les mots s'incrustant dans un lieu approprié à l'intérieur de l'image.
Je pense également à cette intelligente faculté à utiliser toute ta capacité du cinémascope. Là encore quand l'histoire d'amour entre Allen et Keaton commence à péricliter le cinémascope les sépare d'ores et déjà, l'un confiné sur la gauche, l'autre isolée sur la droite, chacun son plan et chacun son espace dans le cadre.

La grande ville ne cesse d'accoler des gens séparés qui croient être réunis. Leurs égocentrismes réciproques s'entrechoquent, les séparent aussi sûrement que l'abondance de la ville leur donne l'illusion d'être ensemble. Les personnages ne vivent finalement que pour eux-mêmes et la satisfaction de leurs désirs. Les atermoiements de Woody Allen apparaissent dès lors plus comme des caprices infantiles. Le plus vieux n'est pas le plus sage. La petite Hemingway du haut de ses 17 printemps peut être à la fois la plus pure dans son attachement et la plus pragmatique à la fin du film. Cet écart vaut bien un dernier sourire de Woody Allen.

Cependant le regard posé sur ces personnages n'est jamais empreint d'une quelconque condescendance, ni même n'exprime un jugement de valeur. Ils sont maladroits, un peu gourds. Leurs discours d'être cultivés ne leur servent pas vraiment à grandir mais bien plutôt à cacher leurs lacunes. A ce propos, le scénario ne se moque jamais. Il en ressort beaucoup d'humanité. Loin d'être insupportables, ces gesticulations sont drôles et touchantes.
Alligator
9
Écrit par

Créée

le 14 avr. 2013

Critique lue 339 fois

3 j'aime

Alligator

Écrit par

Critique lue 339 fois

3

D'autres avis sur Manhattan

Manhattan
Sergent_Pepper
8

Sad love in New-York

Considéré par beaucoup comme représentatif de la quintessence du cinéma de Woody Allen, Manhattan est pourtant, sur bien des points, une œuvre atypique. Le splendide prologue concentre toutes ces...

le 23 sept. 2017

63 j'aime

Manhattan
Rawi
9

Entre deux femmes...

...faire le bon choix ! Fantaisie dramatique Depuis Annie Hall, Woody Allen a gagné en profondeur et en humanité. Il ne se contente plus de faire du comique pour faire rire mais il dissèque les...

Par

le 6 févr. 2016

55 j'aime

6

Manhattan
batman1985
5

Je n'accroche décidément pas...

Je vais certainement me faire encore des détracteurs quand j'attaque du Woody Allen et notamment un des film important du cinéaste. Je vais pourtant tenter, une fois encore, d'expliquer ce qui ne me...

le 8 juil. 2012

48 j'aime

1

Du même critique

The Handmaid's Tale : La Servante écarlate
Alligator
5

Critique de The Handmaid's Tale : La Servante écarlate par Alligator

Très excité par le sujet et intrigué par le succès aux Emmy Awards, j’avais hâte de découvrir cette série. Malheureusement, je suis très déçu par la mise en scène et par la scénarisation. Assez...

le 22 nov. 2017

54 j'aime

16

Holy Motors
Alligator
3

Critique de Holy Motors par Alligator

août 2012: "Holly motors fuck!", ai-je envie de dire en sortant de la salle. Curieux : quand j'en suis sorti j'ai trouvé la rue dans la pénombre, sans un seul lampadaire réconfortant, un peu comme...

le 20 avr. 2013

53 j'aime

16

Sharp Objects
Alligator
9

Critique de Sharp Objects par Alligator

En règle générale, les œuvres se nourrissant ou bâtissant toute leur démonstration sur le pathos, l’enlisement, la plainte gémissante des protagonistes me les brisent menues. Il faut un sacré talent...

le 4 sept. 2018

50 j'aime