Cinéaste de l’espace et de la circulation des personnages, habitué des festivals, le philippin Brillante Mendoza revient avec un film qui laisse peu de répit au spectateur durant ses deux heures. La caméra portée, les plans saccadés, les zooms et les flous dans une lumière glauque et une atmosphère liquide et boueuse installent l’inconfort et le malaise, renforcés par la terrifiante histoire et ses conséquences que le réalisateur de Lola nous raconte : la descente aux enfers de Ma’Rosa et les siens. Épicière modeste, elle fait pour subvenir aux besoins de son mari et de ses quatre enfants le trafic de narcotiques. Interpellée par la police, corrompue et vénale, elle doit trouver une somme importante pour recouvrer sa liberté.


Si dans sa manière de filmer et de suivre ses sujets dans les labyrinthes des quartiers pauvres de Manille en s’ancrant dans le réel, le cinéma de Mendoza évoque beaucoup celui des frères Dardenne, il en diffère toutefois dans l’absence totale de rédemption, de morale ou de résilience. La situation de Ma’Rosa pourrait susciter apitoiement ou empathie, mais parce qu’elle est elle-même peu sympathique, injuriant ses enfants et menant avec autorité son affaire, elle nous reste lointaine. Elle devient d’ailleurs un personnage quasi secondaire dans les séquences délirantes et surréalistes au commissariat de police et dans celles où les enfants partent à la recherche d’argent – ce qui explique assez mal le Prix d’interprétation décerné à Cannes.


Éprouvant, asphyxiant et en même temps lassant, car le scénario est après tout mince et n’offre guère de rebondissements, occupé à montre ad nauseam le délitement d’une société viciée et hiérarchisée où tout se monnaie dans une promiscuité que la chaleur et la moiteur paraissent exacerber jusqu’à l’explosion et le dérèglement, le film semble aussi marquer l’épuisement du dispositif qu’affectionne Brillante Mendoza. Qui récemment a davantage semé le trouble en soutenant le président Rodrigo Duterte qui autorise les forces de l’ordre et les milices à abattre les dealeurs et les trafiquants. Un trouble qui amène aussi à s’interroger sur le regard qu’il porte au final sur son héroïne.

PatrickBraganti
5
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Films vus en 2016

Créée

le 3 déc. 2016

Critique lue 291 fois

Critique lue 291 fois

D'autres avis sur Ma’ Rosa

Ma’ Rosa
rem_coconuts
6

Renegades

Ma'Rosa, t'as pas un peu de crystal? (rires) En dépit d'une renaissance commerciale et de l'émergence d'auteurs, du cinéma philippin n'émerge à l'international qu'un seul nom: celui de...

le 21 nov. 2016

3 j'aime

6

Ma’ Rosa
Ertemel
8

Excessivement réel

La méthode de Brillante Mendoza est irrésistiblement efficace. Son cinéma semble filmé « en direct », pris sur le vif, non dirigé, très proche du documentaire. Faits de plans-séquences tournés au...

le 3 déc. 2016

2 j'aime

Ma’ Rosa
FrankyFockers
7

Critique de Ma’ Rosa par FrankyFockers

J'adorais Mendoza au moment où il a percé en France (Serbis, John John, Kinatay sont des films magnifiques) mais j'avais snobé ses derniers suite à une ou deux déceptions. Bien mal m'en avait pris,...

le 22 oct. 2019

1 j'aime

Du même critique

Jeune & Jolie
PatrickBraganti
2

La putain et sa maman

Avec son nouveau film, François Ozon renoue avec sa mauvaise habitude de regarder ses personnages comme un entomologiste avec froideur et distance. On a peine à croire que cette adolescente de 17...

le 23 août 2013

89 j'aime

29

Pas son genre
PatrickBraganti
9

Le philosophe dans le salon

On n’attendait pas le belge Lucas Belvaux, artiste engagé réalisateur de films âpres ancrés dans la réalité sociale, dans une comédie romantique, comme un ‘feel good movie ‘ entre un professeur de...

le 1 mai 2014

44 j'aime

5