Dans un futur proche, le voyage dans le temps est devenu possible mais reste extrêmement limité. La pègre s'en sert notamment pour faire disparaître ses témoins gênants, les expédiant quelque-part dans le passé, en 2040, où des tueurs surnommés loopers (boucleurs) les éliminent systématiquement. Dans un monde rongé par la criminalité et la misère, Joe fait partie de ces assassins d'un nouveau genre, entièrement tourné vers l'appât du gain et le mépris de la vie humaine. Jusqu'au jour où il découvre que sa prochaine victime n'est autre que lui-même avec 30 ans de plus.


Maintes fois exploité tant en littérature qu'au cinéma, le thème du voyage dans le temps est devenu un sujet plutôt casse-gueule ces deux dernières décennies. En effet, il est devenu de plus en plus difficile d'innover et de contourner intelligemment les nombreux paradoxes temporels dont regorgent ce type d'histoires (même si dernièrement Bryan Singer et les frères Spierig s'y sont essayés avec succès). En cela, le scénario de Looper s'avère être une véritable réussite, Rian Johnson relevant largement le défi en ne perdant jamais de vue le développement de son personnage principal dont l'égo se voit tour à tour incarné par Joseph Gordon-Levitt et Bruce Willis. Si les deux acteurs ne se ressemblent évidemment pas, force est de constater que cela n'handicape en rien la crédibilité de l'intrigue tant Gordon-Levitt, rendu presque méconnaissable par de savants maquillages, livre ici un excellent travail de composition pour coller au plus près à son ego futur (Bruce Willis et sa célèbre bad-assitude).


Le personnage que Levitt incarne est un jeune tueur présenté à priori comme infaillible et égoïste, durement accroc à la came et accumulant des lingots au fur et à mesure de ses exécutions dans le seul but de s'offrir une retraite rêvée dans un pays lointain. Alors que tous ses collègues sont contraints de boucler leur boucle et de tuer leurs doubles âgés, expédiés du futur sous l'ordre d'un mystérieux et redoutable patron de la pègre, Joe se voit confronté à son tour à son propre lui-même qu'il est censé exécuter. En résulte un dilemme d'autant plus difficile qu'il fait suite à l'horrible sentence subie par un autre looper (incarné par Paul Dano) qui a laissé s'enfuir son double dans le présent.


Loin de proposer un simple thriller d'anticipation, Rian Johnson préfère de loin se consacrer à la trajectoire contradictoire de son protagoniste, jouant habilement des paradoxes inhérents à ce type d'intrigues pour proposer ni plus ni plus ni moins qu'un véritable récit initiatique. Si Joe jeune est d'abord présenté comme un malfrat profondément égoïste, c'est simplement qu'il n'a jamais pu compter que sur lui-même (son seul modèle paternel semble d'ailleurs être son terrible employeur, incarné par un Jeff Daniels parfait d'ambivalence et de cruauté). C'est là toute la différence qui sépare les deux incarnations de ce même protagoniste. Quand l'un est uniquement préoccupé par sa survie, l'autre se bat pour préserver le souvenir de l'être aimé.


L'intelligence du script de Johnson est alors de savoir briser les codes établies en déviant plusieurs fois la trajectoire de sa narration. Si la ressemblance entre Gordon-Levitt et Willis est douteuse, Johnson la rend parfaitement cohérente au détour d'un habile flash-back (forward) nous résumant en trois minutes les trente années qui séparent le jeune Joe de son ego âgé. A cela succède le face-à-face attendu entre les deux personnages au cours d'une longue séquence de dialogue dans un restaurant qui prend le contre-pied des clichés attendus en nous montrant un vétéran égoïste et désespéré face à son double jeune, plus réfléchi et pragmatique. Deux égos d'un même personnage, rendu contradictoire jusqu'à l'absurde dès lors que chacun défend ses propres intérêts. L'identification au(x) héros en devient d'autant plus problématique que la plupart de leurs actes sont clairement condamnables.


Puis à l'issu de cette rencontre, le récit prend contre toute attente une tournure radicalement différente, avec l'apparition de deux nouveaux personnages, une jeune mère incarnée par la décidément très talentueuse Emily Blunt et son fils, le jeune Cid (Pierce Gagnon). L'intrigue lorgne dès lors de manière évidente sur le Terminator de James Cameron (en plus du Witness de Peter Weir) sans toutefois se vautrer dans l'écueil du repompage simpliste. Johnson en inverse d'ailleurs le concept, tout en se refusant systématiquement au moindre manichéisme. L'idée qui sous-tend alors le métrage et qui évoque évidemment le thème de l'assassinat d'Hitler, étant alors de supprimer un enfant promis à devenir un véritable monstre une fois adulte (vive le paradoxe de Barjavel). Un enfant doté de pouvoirs télékinésiques proprement effrayants, largement annoncé dès l'exposition de l'intrigue où il est sous-entendu que l'humanité future développera des facultés mutantes étonnantes mais à peine exploitées.


L'autre particularité du film est de proposer une vision crédible (très peu de CGI) et pessimiste de la société future, Rian Johnson se servant du prétexte du voyage temporel pour injecter son style personnel tout en philosophant sur la décadence de la société capitaliste. L'intrigue prend ainsi place dans une Amérique qui s'est économiquement effondrée (face à l'émergence de la Chine) et où la plupart des gens roulent avec de vieilles voitures des années 2010. Très peu d'avancées technologiques dans le film, Johnson y privilégiant avant tout à l'image une approche socio-politique dépressive renforçant cette impression angoissante de futur proche. Economisant du même coup sur les effets tape-à-l'oeil et les décors trop expansifs pour privilégier une approche authentique, le cinéaste ne s'en révèle pas moins extrêmement inventif dans sa mise en scène. Certaines scènes et situations du film risquent ainsi d'imprégner durablement la mémoire des spectateurs, que ce soit cet homme perdant ses membres au cours de sa course désespérée alors que son double jeune est au même moment amputé des-dits membres ou encore les manifestations impressionnantes des pouvoirs télékinésiques du Rainmaker enfant.


Cette approche science-fictionnelle hardcore n'empêche pas pour autant le réalisateur de verser dans l'exploitation pure et de nourrir continuellement son film de diverses influences allant du western (le duel final sur la route) au film noir en passant par le manga (Akira, Domu rêves d'enfants) et l'actioner 80's (la descente de Bruce Willis dans le repère des criminels le relègue à un proche cousin de John Matrix). Des emprunts évidents certes mais jamais gratuits, qui témoignent de la volonté de Johnson d'inscrire son film dans un large héritage cinématographique, sans jamais se limiter aux codes établis.


En résulte un métrage lui-même promis à devenir une référence incontournable du cinéma de science-fiction. Impossible en effet de nier les apports considérables de ce Looper au thème du voyage temporel (et ce même si ce dernier ne sert ici qu'à jeter les bases de l'intrigue), d'autant que Johnson a l'intelligence de traiter ses différentes temporalités comme autant de mondes parallèles, le futur n'y étant finalement qu'une réalité potentielle propre à s'évanouir, tout comme les souvenirs qu'il en reste, en l'espace d'un sacrifice inattendu.


Passionnant à plus d'un titre, porté par une réalisation inspirée et un casting irréprochable, Looper est de ces rares thrillers futuristes aussi ludiques dans leur forme qu'exigeants sur le fond. Du très bon cinéma de genre et l'oeuvre d'un véritable auteur... en devenir.

Buddy_Noone
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le 14 juin 2015

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Buddy_Noone

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