Sorti en 1961 et préfigurant déjà en quelque sorte Dr Folamour par la multiplicité (ici justifiée par le scénario) des rôles du très bon Peter Sellers, Lolita n'est certainement pas un des meilleurs Stanley Kubrick, mais ne doit être pas non plus être oublié et rangé dans les plus mineurs.


Bien sûr, souvent, et le film y perd, on compare cette adaptation au roman original bien plus sulfureux de Vladimir Nabokov (qui a cependant écrit le scénario adapté, ce n'est pas anodin) pour montrer sa qualité inférieure et surtout son côté bien plus sage. Seulement, ce serait oublier le système hollywoodien: car oui, Lolita n'est pas un film indépendant, pas un film contemporain qui plus est, évidence à rappeler, mais bien un film hollywoodien du début des années 60, pré-nouvel Hollywood, alors que le code Hays de censure était encore appliquée, avec un grand acteur comme James Mason. Pas question alors de réaliser de grandes scènes érotiques qui feraient frémir (en dehors du générique dans une moindre mesure), et là n'est pas le but. D'autant plus que bien évidemment l'âge de l'amante de Humbert, Lolita, qui a donc 12 ans dans le roman, pose des questions éthiques quant à la représentation de cet idylle pervers: comment montrer aux spectateurs un personnage principal pédophile et son amour sans les dégoûter, sans en faire un héros et sans en faire non plus un récit moralisateur et manichéen?
Ainsi, ici Lolita n'est plus une fillette mais une grande adolescente de 17 ans, et si cela rend le ton du film plus sage et éloigne légèrement le thème de la pédophilie (toujours présent bien sûr, mais un peu éclipsé), toujours est-il que l'on ne peut que le pardonner au vu de l'époque du film et de son contexte de production, d'autant plus que Stanley Kubrick n'y est certainement pour rien.


Surtout, l'absence de scènes explicites ou la Lolita plus âgée, si elles rendent le film plus «sage» objectivement, lui donnent aussi tout son intérêt, sa subtilité. Toutes les scènes sont construites par la suggestion davantage que par l'action, le hors-champ plutôt que ce qui se déroule dans le champ, comme lorsque Lolita amène le petit-déjeuner de Humbert: alors qu'elle tient une omelette au-dessus de la bouche grande ouverte de Humbert, Kubrick opère une coupe et l'on se retrouve dans l'escalier alors que Charlotte Haze, sa mère excentrique, appelle sa fille, qui ne viendra pas tout de suite... Kubrick évite la censure mais ne perd pas son sujet, il laisse tout le «sale travail» de représentation d'une telle scène érotique et pédophile au spectateur, à lui d'imaginer ce qui s'est déroulé durant ces quelques instants...
De la même manière, Lolita n'ayant pas 12 mais 17 ans n'est pas fondamentalement un problème puisque Kubrick a parfaitement choisie son actrice: dans la mythique scène du jardin, elle impose sa beauté de Vénus, et est tout au long du film une adolescente séduisante, voire hypnotiseuse, mais elle conserve tout de même sur son visage une certaine candeur, des traits enfantins, ce qui rend la fin cependant assez absurde, puisqu'on imagine mal cette gamine de 17 ans soudainement femme au foyer se plaignant de son dos. Un mélange entre Marilyn Monroe et Audrey Hepburn, étrange, paradoxal, mais qui colle parfaitement au film et à son sujet (l'hyper-sexualisation de la jeunesse, thème on ne peut plus actuel), à tel point que cette Lolita, Sue Lyon, y restera affiliée à jamais, condamnant sa filmographie.


Sans pâtir d'une certaine censure donc, Stanley Kubrick réussit avec brio à mettre en scène son film, sa véritable satire de la société américaine.
Car, étrangement, Lolita se rapproche souvent de la comédie, entre le personnage de Sellers, Quilty, scénariste ivrogne qui se met tour à tour en scène en policier un peu bipolaire puis en psychologue freudien à l'accent germanique, celui de Shelley Winters, la mère excentrique, naïve et couguar à la fois, ou même la scène suivant son accident, alors que Humbert boit du whisky joyeusement dans son bain, et doit feindre la dépression auprès des anciens amis de la défunte. Dans cette galerie de personnages, on voit que Kubrick se plaît à montrer une Amérique pourrie, (comme le ferait plus tard American Beauty avec Kevin Spacey en néo-Humbert), avec ce scénariste détournant Lolita pour lui faire tourner de la pornographie, mais surtout très contradictoire, à l'image de cette veuve donc, à la fois puritaine possessive et femme sensuelle aux mœurs légères.
Au milieu de tout cela, Humbert est l'amant poète torturé habituel, un peu banal à l'unique différence qu'il fréquente ici une mineure bien entendu, également sa belle-fille à partir d'un certain point. Mais cela devient intéressant cependant quand son amour étrange se dévoile et montre une grande obsession horrifique, une volonté de contrôler son amante tel un objet, hyper-sexualisé et transformé par ses fantasmes.
En ce sens et dans une certaine mesure, on pourrait presque qualifier Lolita de féministe, tant il s'agit de montrer une femme-objet convoitée par tous, pervertie, mais qui échappe finalement aux dangers pour vivre un amour, plus simple, plus banal, mais bien plus sain.

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le 13 août 2021

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