Un large panoramique nocturne nous révèle les profondes fondations d'un immeuble en construction à Birmingham, en Angleterre. La journée de travail prend fin et chaque ouvrier déserte peu à peu l'endroit. Parmi eux, le contre-maître Ivan Locke (Tom Hardy). Celui-ci monte dans sa voiture et s'apprête à priori à rentrer chez lui à Londres, rejoindre femme et enfants. Un seul coup de fil suffit pourtant à bouleverser ses projets. Absorbé dans ses pensées alors qu'il est à l'arrêt devant un feu, il semble prendre une décision radicale et au lieu de tourner dans la direction qu'il s'apprêtait à prendre, s'engage subitement dans la direction opposée. Ivan ne rentrera pas chez lui ce soir et ne pourra certainement pas être à son poste le lendemain matin pour superviser l'arrivage et le coulage de milliers de litres de béton représentant plusieurs millions de dollars d'investissement, ainsi que le couronnement de sa carrière. De sa voiture, tout au long de la route vers sa destination, Ivan va devoir assumer ses responsabilités familiales et professionnelles et ce, via une série de coups de fil tardifs.


Au vu du pitch minimaliste de Locke, on pourra douter de la pertinence de l'approche du réalisateur-scénariste Steven Knight (à qui l'on doit les scénarios des excellents Dirty Pretty Things et Les Promesses de l'ombre ainsi que la série Peaky Blinders) et s'attendre à s'ennuyer cruellement devant ces 86 minutes de métrage. 86 minutes entièrement centrées sur un personnage totalement seul à l'écran, uniquement filmé dans l'habitacle de sa voiture à converser au téléphone avec des interlocuteurs que l'on ne verra jamais. De quoi dissuader bon nombre de personnes à voir le film donc. Et pourtant force est de constater que ce film-concept sous forme de huis-clos routier réussit à embarquer le spectateur dans la voiture de son protagoniste sans jamais le perdre en route. Le réalisateur s'appuie pour ce faire essentiellement sur la prestation impeccable d'un Tom Hardy de quasiment chaque plan. Le comédien anglais se fait ici donner la réplique par des acteurs hors-champs, des voix sur haut-parleur accentuant le parcours introspectif d'un personnage seul à son volant.


Risque de SPOILER


Au fil des appels passés et reçus, Ivan Locke nous est présenté comme un homme moralement solide et intègre dont l'honnêteté inébranlable le poussera à révéler une vérité dévastatrice. Fonçant sur l'autoroute pour se rendre au chevet d'une inconnue qu'il a mise enceinte un soir d'égarement et dont il vient d'apprendre qu'elle va accoucher dans la nuit, Ivan prend la décision d'assumer le poids de son erreur, avouant tout à son épouse au téléphone, au risque d'anéantir son couple. Sacrifiant du même coup sa carrière en annonçant à son supérieur qu'il ne pourra être à son poste le lendemain matin, Ivan Locke roule envers et contre tout, non sans entretenir l'espoir de garder un certain contrôle sur sa vie (et sur son chantier). Hanté par le souvenir d'un père démissionnaire dont il ne cesse de blâmer le fantôme occupant la banquette arrière de son véhicule, Ivan semble ne jamais songer une seule fois à faire demi-tour alors même que sa vie s'effondre derrière lui. Il se contente de rouler, déterminé à ne pas reproduire l'attitude d'un paternel qui n'a jamais été là pour lui.


Ses monologues enflammés à l'encontre de celui-ci, aux limites de la schizophrénie, révèlent d'ailleurs un certain background qui accentue de surcroît la complexité d'un personnage habitué à tout contrôler et à verrouiller (locke) une vie qui désormais lui échappe à chaque mètre parcouru. A ce sujet, il faut d'ailleurs entendre parler Ivan lors d'une de ses communications, lorsqu'il évoque "son" immeuble, celui qu'il veut pouvoir regarder plus tard avec satisfaction en sachant que l'édifice tiendra finalement sur des bases dont il se sera assuré la parfaite solidité. Une certaine ambition donc, plus morale que professionnelle, et qui s'oppose finalement à la destruction progressive des fondations de sa propre vie.


Toute la question pour ce personnage reste donc de savoir s'il roule à sens unique, sans le moindre espoir de retour. Et les voix de son épouse, de ses fils et de ses collaborateurs de sembler de plus en plus troublées et distantes au fur et à mesure des kilomètres parcourus, jusqu'à se taire et abandonner le personnage à une solitude inéluctable à laquelle seuls répondront finalement les pleurs d'un nouveau-né.


Porté par le talent désormais indéniable de son acteur-vedette, ici totalement esseulée à l'image, magnifié par une mise en scène qui tout en aérant son décor restreint de multiples plans de trafiques nocturnes, scrute sous différents angles le visage d'un protagoniste dont le seul regard suffit à trahir les doutes qui l'assaillent lors de cette nuit décisive, Locke prouve qu'il est toujours possible pour qui en a le talent, de narrer une intrigue totalement confinée sur plus d'une heure. Et ce, avec une remarquable économie de moyens et la seule présence d'un comédien habité par un personnage se révélant tout aussi complexe qu'attachant au fil des minutes et des bornes parcourues.

Buddy_Noone
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Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes Ces films dont je n'attendais rien et qui pourtant... et Les meilleurs films avec Tom Hardy

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le 20 mars 2016

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Buddy_Noone

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