Les américains ont un rapport à la fiction qui ne manque pas de piquant. Après un traumatisme, un acte criminel et une peine de prison, rien de tel que d’écrire un livre, qui, avec un peu de chance, finira par être adapté au cinéma. On aura droit au « inspiré d’une histoire vraie » dès la bande-annonce, et cela donnera un peu de sel à un récit qui, sans cette caution, aurait perdu le rare intérêt qu’il s’efforce de maintenir au yeux du spectateur.


Can you ever forgive ? me relate donc l’histoire VRAIE d’une auteure en perte de vitesse qui, durant les années 90, a rédigé plus de 400 fausses lettres de grands noms de la littérature pour les revendre à des collectionneurs. Sujet en soi assez intéressant, notamment sur le plan littéraire, dans la mesure où il s’agit de coller à la personnalité de ces célébrités tout en donnant du piquant à des confessions intimes pour augmenter la valeur du document. Cet aspect ne sera malheureusement qu’effleuré. Marielle Heller préfère en effet se concentrer sur le portrait contrasté d’une femme, laide, fielleuse, alcoolique, négligée dans son hygiène, mais, tenez-vous bien, au final très attachante dans sa solitude, ses problèmes d’argent et de chat malade. Melissa McCarthy, qui change de registre par rapport aux comédies grand public, s’offre ce petit pat de côté sans maquillage ni apprêt qui fera plaisir à l’industrie pour l’étendue de son registre, tandis que Richard E. Grant joue l’ami homosexuel fantasque, drôle mais lui aussi doté de blessures secrètes propres à émouvoir tout un chacun.


Il est donc assez ironique de constater qu’un film traitant de l’écriture souffre de telles lourdeurs (exposition sur-écrite, caractères déjà vu cent fois), et qu’une intrigue traitant de la copie et la contrefaçon fasse autant dans le plagiat du film sur New York, pompant Woody Allen à foison, de la bande originale jazzy à ces points de vue sur la ville, jusqu’aux extrêmes d’un flou général se focalisant progressivement sur la cité by night.


Tout n’est pourtant pas à jeter dans ce film, et il est clair qu’il aurait pu se fourvoyer bien davantage. La relation d’Ira à la libraire, par exemple, est plutôt touchante dans sa maladresse et l’impasse à laquelle elle se destine, et la manière dont la protagoniste parvient à faire un acte créatif à partir de sa propension naturelle à la méchanceté permet quelques saillies assez efficaces.
Reste qu’on attend encore LE grand film sur l’écriture, un équivalent à ce que serait Amadeus pour la littérature…

Sergent_Pepper
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le 9 août 2019

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Sergent_Pepper

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