Les cinq diables, de Léa Mysius, est un film fantastique subtil qui aborde de nombreuses questions autour de l'amour et du désir de maternité, dans une ambiance froide et avec plusieurs niveaux de lecture et une fin ouverte qui laisse place aux interprétations.


Selon Le Figaro : "Que Léa Mysius coche toutes les cases de la grille woke (homosexualité, féminisme, antiracisme) en scénariste consciencieuse et appliquée est déjà limite, mais la facture kitsch aggrave le cas de ce conte fantastique"


Passons sur la caractérisation de "kitsch" qui semble servir à dénigrer tout le genre fantastique, trop nouveau pour le Figaro qui a sans doute raté la sortie, certes récente, des livres de Maupassant et d'Edgar Poe, et arrêtons-nous sur la belle définition du "wokisme" qu'ils nous livrent.


Celles et ceux désignées de "wokes" se demandent parfois ce que peut bien vouloir dire ce mot lorsqu'il est utilisé par les sleeps (autre nom des antiwokes). L'histoire du mot renvoie aux slogans antiracistes et notamment à un texte de Martin Luther King contre la ségrégation : Remaining Awake Through a Great Revolution. Il semble alors facile de supposer que les "antiwokes" sont donc "anti-antiracistes" puisqu'ils s'opposent au slogan antiraciste "stay woke". Mais ce serait bien trop simple...


Ou pas. Puisque, par une expression on ne peut plus claire, le Figaro nous explique qu'il serait "limite" de faire un film qui comporte "homosexualité, féminisme, antiracisme", toute chose qui semble déranger les sleeps. Ayant sans doute écrit trop vite ce qu'ils pensaient, ils sont très près de nous dire que "l'homosexualité, le féminisme et l'antiracisme, c'est déjà limite".


Mais le film est-il un tract politique ? Si le film, comme tout récit, peut être interprété politiquement, il est loin d'un militantisme appuyé, et c'est peut-être bien ce qui dérange encore plus nos antiwokes. Car où est-ce que le Figaro voit de l'antiracisme ? Probablement dans la présence d'actrices et d'acteurs Noirs qui jouent simplement un rôle sans, justement, qu'on appuie lourdement sur leur couleur de peau. Bien sûr, le racisme n'est pas nié, lui aussi est là, au détour d'une scène, mais il ne s'agit pas d'en faire la thèse du film. Les personnages ne sont pas écrits pour rentrer dans des stéréotypes. Ils sont simplement là, et cela semble déjà de trop pour le Figaro : "limite".


Même chose pour le féminisme et la relation amoureuse entre deux personnages féminins. Le film n'est toujours pas un tract politique, c'est un film avec une histoire. Porte-t-il un message, des valeurs ? Oui, comme tout film, et le film de Léa Mysius le fait plutôt subtilement. Mais là encore, le principal acte "féministe" du film est de proposer des personnages principaux féminins, chose qui est longtemps resté rare dans un art accaparé par des réalisateurs hommes. C'est encore une fois la seule présence qui a dérangé ces antiwokes du Figaro.


Bien plus subtil qu'un édito du Figaro, Les cinq diables questionne les tensions entre le choix de l'amour et celui de la maternité, dans la plus pure tradition du fantastique, qui laisse place aux interprétations variées, rationnelles comme paranormales. Un film fantastique !

Apchap
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le 13 sept. 2022

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