Cinéma de genre(s)

Avis sur Les Cinq Diables

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On a vu, sûrement dans des approches post-post-modernistes qui voudraient un renouvellement de l'imaginaire du cinéma français, l'accroissement de propositions de cinéma de genre français, et ce, depuis quelques années. La palme accordée au Titane de Julia Ducourneau aura définitivement placée cette tendance au centre de l'attention, mêlant à cette volonté d'originalité formelle un attrait pour le queer. Il s'agit bien alors de mettre l'inhabituel, l'étrange, au cœur du cinéma, ou même de l'établir en nouvelle normalité. Alors que la crise de l'imaginaire visuel ne s'est jamais réellement complètement résolue depuis l'implosion des années 60, on ne peut que trouver ces propositions du moins intéressantes. Les Cinq Diables est une nouvelle pièce à l'édifice : le film est réalisé par une femme, Léa Mysius, doté d'une intrigue de thriller, avec enfant aux capacités fantastiques et couple lesbien. Le long-métrage est bien un pur un film de cinéma de genres. Malheureusement, il ne cesse de montrer l'impasse qui empêche grandement le cinéma de genre français d'atteindre son réel objectif : renouveler l'image.

En effet, l'attrait d'une nouvelle génération du cinéma français pour le cinéma de genre, plutôt qu'altération de l'imaginaire cinématographique français, devient finalement dépendance à celui du cinéma américain. Car c'est bien de là dont vient avant-tout l'ADN de cette ambition : dans le ton décomplexé du scénario, on revendique la série Z à la slasher, avec les profondeurs thématiques qui sondent les abysses de l'âme humaine, on se place dans la lignée des séries B américaines réévaluées par la critique pour leur fond politique, enfin, pour l'image, celle qui marque, celle qui s’incruste en soi, on convoque les grand maîtres habituels (Carpenter, Lynch, Cronenberg, Fueller, De Palma). Ces éléments pourraient être des inspirations recyclées, ils deviennent plutôt des fétiches devant lesquels on s'agenouille : elle est là, l'impasse.

Les Cinq Diables en est un cas de figure. Dès le générique, le plan au drone, police bleu cyan en surimpression, rappel Shining, dont le cadre enneigé et isolé fera office de référence au long-métrage. Puis, à la bande-sonore, des musiques majoritairement américaines, et ce durant tout le film, comme pour s'extirper du cadre francophone, ou plutôt pour faire « à l'américaine ». Qu'on ne se trompe pas : il ne s'agit encore une fois pas de condamner l'évocation d'un imaginaire américain, mais plutôt de condamner son établissement en unique idéal, idéal inatteignable et qui ne sera jamais atteint par le film.

Car si l'on prend ces cinéastes tant idolâtrés, Carpenter, Lynch, Cronenberg, Fueller et De Palma, ce qui les réunie et ce qui les place au panthéon cinématographique, c'est bien leur capacité, comme dit précédemment, à créer, en dehors de toute notion de genre, des images profondément marquantes, des images qu'on pourrait dire ovnis, s'écrasant sur la toile comme des astéroïdes, astres étrangers et passionnants. Léa Mysius s'y perd et créer un amalgame entre image marquante, dans le sens noble, et imagerie publicitaire superficielle. C'est de telle manière qu'est conçue la scène de l'incendie : mise en exergue sur l'affiche publicitaire, placée en amuse-gueule au début du film, ce n'est qu'un money shot filmique, dont l'aboutissement n'aura jamais lieu et ne pourrait avoir lieu tant l'image est creuse. Tout le film est réalisé de cette manière : on vend des scènes qui sont davantage des vitrines que des images, prospectus d'un fantastique qui ne reste tout au long qu'un dispositif plutôt qu'une réalité explorée.

Il faut alors que le cinéma de genre français se libère réellement, plutôt que d'apporter de l'étranger une nouvelle source d'asservissement visuel dans l'industrie cinématographique française. Observons le cas Noé, si différent, et tout de même relativement proche en intention : le cinéaste produit à l'international, se démarque, touche presque au fantastique, en tout cas au cinéma de genre, cite lui aussi des mentors de la série B (Argento principalement, mais aussi en américain Boorman), tout en mêlant un héritage qu'on pourrait presque dire de la Nouvelle Vague (son dernier film Vortex citait La Maman et la Putain). Qu'en reste-t-il surtout ? Des images neuves, modernes, intensément marquantes, oui, comme une obsession morbide qui hante le spectateur.

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