Essai de nuance

Face à la grotesque (ou inquiétante ?) demande de la ministre de la recherche d'un rapport sur "l'islamo-gauchisme", que le CNRS lui a refusé de façon stricte et justifiée, Michel Wieviorka tente un essai sous forme de "Rapport à Madame Frédérique Vidal", qui présente ce qu'aurait été sa réponse à cette requête.
Le sous-titre, "Apologie de la recherche", se traduit dans ce court texte par l'accent mis sur le sérieux et l'intérêt des recherches intersectionnelles et post-coloniales. Ainsi, on pourrait dire que l'auteur considère que la ministre n'a pas vraiment compris l'enjeu des questions qu'elle pose mal, confondant une caricaturale lutte politique avec des champs de recherche légitimes aux résultats intéressants.
Il ne prétend pas pour autant qu'il n'y a rien a changer dans la recherche et conclut le livre par un appel à mieux tenir compte des recherches des autres pays, qualité qu'il trouve notamment dans les études postcoloniales.
Comme texte défendant la recherche face à une ministre de la recherche qui n'y semble rien comprendre, il ne manque pas de qualité. Mais la recherche de nuance se perd souvent dans une mise dos à dos des acteurs des débats qui participent plus à emmêler les idées qu'à les éclairer. Peut-être que cet exposé qui a tendance un peu à confondre nuance et "en même temps" aidera néanmoins les moins avertis de ces questions à s'intéresser aux sujets du racisme ou de l'intersectionnalité sans préjugés.
Mais le gros défaut du texte me semble sa tendance à délégitimer le champ militant. Cela commence par une anecdote vécue et caricaturale (mais le monde militant n'est pas dénué de caricature, il faut le dire, et pas seulement chez les "extrêmes", les militants ayant rarement des cours de "media training" et encore moins l'espace et le temps de développer des nuances). Et cela se termine par une critique de l'usage militant de l'intersectionnalité. Le but du texte est de défendre la recherche, mais faut-il pour maintenir le statut de la recherche abaisser le statut du militantisme ? Le cadre du texte ne le permettait sans doute pas, et ce n'est sans doute pas le propos de l'auteur, mais il y aurait pu avoir au minimum une réflexion claire sur la différence entre recherche et militantisme ainsi que la manière fructueuse pour les militants de s'approprier la recherche. S'ils font fausse route et qu'on ne les considère pas comme tout simplement stupides, on peut leur suggérer une bonne manière d'articuler science et politique (ces réflexions existent depuis longtemps, et si le militantisme ne peut remplacer la science, Bakounine avait montrer que la science ne peut à elle seule administrer la politique).
Interrogé par Daniel Schneidermann sur la rapidité d'écriture et d'édition de son livre, Michel Wieviorka répond qu'il avait déjà un projet de livre dans ce sens. Mais la précipitation poussée par l'actualité qui a accéléré l'écriture de cette version a peut-être nuit à ce qui aurait pu être un meilleur livre, à la fois plus corrosif (en critiquant plus nettement la démarche de la ministre) et plus constructif (en définissant clairement science et politique et en proposant une articulation constructive entre les deux).