Dans le théâtre des Amandiers fondé par Patrice Chéreau à Nanterre, de jeunes acteurs sont recrutés pour recevoir une formation qui se veut au plus proche de l'exigence professionnelle. Ce collectif de comédiens est ainsi plongé dans une quête effrénée où la comédie devient intime et cruciale. Les passions de la vie s'entremêlent à l'interprétation. Les ombres se confondent aux silhouettes réelles dans un spectacle vivant.

Le théâtre est l'objet de vocations, de vies, d'un besoin sans cesse renouvelé. La source de la théâtralité est ce maillage étroit entre l'écrit, le corps et la vibration de la voix, engendrant un « déséquilibre dynamique » (Edward Gordon Craig). Une fascination millénaire autour de cette magie sensuelle génère toujours la contemplation. Cette forme d'artifice nous est essentielle. Elle affleure notre peau et notre cœur. C'est ce dont nous parlent Les Amandiers.

Elle-même ancienne élève du metteur en scène, Valeria Bruni-Tedeschi continue d'explorer ses fantômes dans ce film qui vacille au gré de temporalités plurielles. Il s'agit d'une autofiction, et pourtant, l'anecdote et le chronotope s'effacent derrière l'effervescence baroque d'une fleur de jeunesse aux couleurs de la frénésie et du désir.

Un orage fantasmatique retranscrit cette atmosphère des années 1990, emplie de l'odeur de cigarette. Mais ce décor n'est qu'un écrin pour un portrait qui excède une période donnée : l'auteure nous parle des saisons humaines et de leur fugacité, créant une allégorie de cette renaissance cyclique.

C'est un jeu sur la distance entre l'œuvre et la vie. Dans une variation de lumières, le réel est submergé par la plénitude de l'expérience théâtrale. L'apparente finitude du divertissement prend un sens inattendu dans une éloquente incarnation. Sur scène, le détournement est maître. Au sein de la représentation, les phénomènes se retournent comme dans un jeu de miroirs : la bagatelle devient capitale, le trivial, monumental et l'amusement, inquiétant.

Le spectateur pénètre les égarements enthousiastes d'une jeune première à l'allure étincelante. L'existence se consomme et rougeoie en suivant la fortune versatile : c'est ce constat et cette conscience dévorante qui la poussent sur les planches. Ainsi, le timbre de la voix et l'éclat de la chair sont devenus matière, mise et instrument. Ce pacte mystérieux au service du simulacre et aux dépens de l'esprit semble lui offrir un mode d'être illuminé par le mouvement et la musique : c'est une sorte de métamorphose que les acteurs engagent lorsqu'ils s'immergent dans le jeu. La réalisatrice explore la limite entre cet état hybride et les modes de réel, eux aussi divers et successifs, qui forment nos vies personnelles.

Les Amandiers nous révèlent donc comment le cinéma de Valeria Bruni-Tedeschi est focalisé sur l'action. Comme dans une image dédoublée, le contexte (historique, social...) est employé tel un support, il nous projette vers l'essence de l'art dramatique où les comédiens imitent en exécutant. Ce long-métrage réactualise une réflexion sur la porosité entre des domaines à priori distincts : le jeu ou la vie, le théâtre ou le cinéma, le feint ou le réel.

Dans un scénario palpitant d'amour et de fantaisie, le spectateur est convié à une méditation sur l'exacerbation des passions. Cette pièce séduisante affecte un caractère désarticulé pour susciter un questionnement sur la nature et la place de l'art dans nos vies mais également sur l'origine du trouble face la représentation : dans cette recherche poussée à l'extrême, on est tenté de croire, selon une phrase Shakespeare, que peut-être « nous sommes de la même étoffe que les songes ». (La Tempête, Acte IV scène I)

Site d'origine : CIné-vrai

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le 25 nov. 2022

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