Le silence ? C'est le silence de Dieu !

Le silence ? C'est le silence de Dieu !

On a beau lui adresser nos cantiques ou bâtir des cathédrales tutoyant les cieux...il n'y a rien à faire, il reste sourd à nos prières !

Dieu ne nous répond pas, il nous ignore et il nous a abandonnés, là, à notre triste sort. La vie devient vide de sens ; d'ailleurs qu'est-ce qui a du sens ! L'homme souffre, pleur et s'enfonce chaque jour un peu plus dans la solitude ! Il y a la mort au bout du chemin. C'est le terminus inévitable. Mais que faire alors !

Ce Dieu qui délaisse l'homme, Bergman l'aborde dans de nombreux films, passant en revue tous les symptômes qui y sont associés : la solitude, la vacuité de la vie, l'incommunicabilité, l'angoisse de mort...

On va retrouver tout ça dans "Tystnaden", clôturant ainsi une trilogie initiée quelques années auparavant par "A travers le miroir" et "Les Communiants". Mais surtout il préfigure ce qui sera l'un de ses plus fameux chefs-d'œuvre : "Persona".

"Tystnaden" est l'un des films les plus singuliers de Bergman. Froid, austère, perturbant, dérangeant...il en laissera plus d'un sur le carreau, comme "Persona" d'ailleurs ! Et pourtant, il est d'une réussite formelle remarquable ! Basé sur le principe du huis clos, il permet au cinéaste de disséquer l'âme humaine au scalpel. Et le résultat est pour le moins saisissant !

Les deux personnages principaux sont deux femmes. Deux sœurs, plus exactement. Ester est une intellectuelle, mal dans sa peau, isolée, frustrée sexuellement... Elle est également malade ; somatiquement j'entends ! Son physique chancelle, elle crache du sang, ses jours sont comptés ! Mais ce mal qui la ronge semble plus profond, plus insidieux, et pour lequel il n'existe encore aucun médicament. Lorsque l'on se sent abandonné par tous, à quoi bon vivre finalement ! Elle cherche du réconfort dans les plaisirs éphémères : alcool, tabac, onanisme...

Une chose pourrait vraiment la soulager, Anna, sa sœur, dont elle sacrément amoureuse. Une relation bannie par la morale, certes oui, mais lorsque l'on est déjà abandonné par Dieu...

Anna est le parfait antagoniste de sa sœur. Elle apparaît comme une femme libérée, sensuelle, et à la sexualité épanouie. Mais comme toujours chez Bergman, les apparences sont trompeuses et Anna entretient une relation trouble avec sa sœur. Une relation du type amour/haine empreinte d'admiration et de perversité. Ainsi elle admire cette femme d'esprit qui traduit de "jolis livres" mais peut également vouloir coucher avec le premier venu dans le simple but de la blesser. Finalement, elles se retrouvent prisonnières de cette sexualité mal investie et qui les laisse pleine de remords et de frustrations.

Ce sentiment est exacerbé par le huis clos dressé par Bergman. L'ambiance cloîtrée de l'hôtel renforce la sensation d'oppression. Le cinéaste filme les corps souffrant de la chaleur, les peaux moites, les visages qui se collent aux fenêtres à la recherche d'air frais. Cette promiscuité renforce la tension sexuelle existant entre les deux protagonistes, une tension qui se fera sentir d'autant plus violemment que les jeunes femmes ne parviennent pas à communiquer entre elles. Ne parlant pas la langue du pays, leur isolement est total !

Bergman joue avec ses personnages comme un scientifique avec ses souris de laboratoire ; il les fait passer par tous les états, mettant à l'épreuve leur sentiment et leur morale. Le témoin privilégié de cette situation restant Johann, le fils d'Anna. Il est en quelque sorte la représentation du cinéaste étant enfant et qui découvre un monde qui le fascine, et dont il ne comprend pas tout. Johann est troublé par le corps d'Anna, il ausculte ses pieds, son corps dévêtu et s'empresse de lui frotter le dos lors du bain. Une scène troublante à plus d'un titre. Mais si Bergman évoque la sexualité de l'enfant, sobrement, il va un peu plus loin avec ce personnage qui n'hésite pas à aller à la rencontre du monde, cherchant à comprendre ces drôles de personnages dont il ne comprend pas la langue. Pour communiquer, il faut parler le même langage. Il lit, tente de déchiffrer les mots, ce qui lui permet de sortir de sa solitude, contrairement aux deux sœurs. Une manière de dire que la lecture, l'art en général, permet de relier les peuples et palier, peut-être, au silence de Dieu.

Si "Tystnaden" paraît un peu moins élaboré que les grandes œuvres de Bergman (et encore!), il reste l'un des films les plus troublants et les plus marquants du Suédois. Et puis ça reste un film à voir au moins pour Ingrid Thulin et Gunnel Lindblom, toutes deux superbes !


Créée

le 25 août 2023

Critique lue 16 fois

4 j'aime

Procol Harum

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