Le Roi Lion
5.7
Le Roi Lion

Long-métrage d'animation de Jon Favreau (2019)

Correct > mystique ; méchants moins burlesques et plus sinistres malgré l'effort de compréhension

Cette version 'live' tient ses promesses, en premier lieu celle d'un visuel sublime. C'est bien une sorte de reboot plutôt qu'une actualisation ; le souci de correction et de ne fâcher personne ne renvoie pas spécialement à aujourd'hui. Certains points forts ont tout de même été ripolinés voire évacués : les êtres et les relations sont désexualisés, la relation entre Nala et Simba y perd. Les féministes apprécieront peut-être qu'elle se montre sarcastique (sans connotation d'aigreur) et batte trois fois son inlassable ami-amant ; elles pourront aussi relever la chef des hyènes, distinctement au-dessus des autres, posée et intelligente, l'allure souffrante et profonde, quand Shenzi n°1 était davantage pleutre, geignarde et roublarde.


Il n'y a qu'un seul sacrifice sévère mais c'est un des plus énormes imaginables : Soyez prêts est réglé en une minute de basse intensité. Il faut reconnaître que la danse, l'ambiance dionysiaque lugubre et le défilé auraient été compliqués à intégrer dans un contexte hyperréaliste (comme la descente dans les épines, sûrement une source de sensations trop agressive). Tout est moins théâtral et les envolées cartoonesques ne sont plus au rendez-vous ; les scènes poignantes le sont encore mais aucun moment ne se détache absolument (peut-être la course dans les adventices). En contrepartie Le roi lion sert des fantaisies crédibles (évidemment pas vraisemblables), des figurants ravissants et se permet quelques séquences de doc naturaliste enjoué (la souris menant à Scar) ou péripéties silencieuses façon Minuscule (la touffe de Simba témoin d'une destinée moins mystique). Même la VF (où Jean Reno paraît sur le point de mourir plutôt que d'éduquer et où reprendre Semoun aurait été aussi bien) ne saurait gâcher les instants de ravissements ou de contemplation (pas tous délicats puisque certains auraient leur place dans Rage ou Mad Max).


C'est dans le son qu'on trouve les points faibles, voire les fautes empêchant la séance d'être parfaitement magique – un moment d'évasion ou d'abrutissement heureux accompli. Toutefois si le chant explosif de l'ouverture ne vous gâche pas le plaisir, les deux heures devraient se passer sans gêne. Les ajouts conséquents sont rares mais du plus bel effet : les lionnes sous le règne de Scar avec ses servantes en patrouilles permanentes, toute la faune amicale incarnant la philosophie du Hakuna Matata dans une sorte de paradis mi-hippie mi-individualiste acharné. Ces deux bouts du film ouvrent à des univers déjà présents en 1994 mais de manière synthétique et toujours centrée sur la poignée de protagonistes clés ; aujourd'hui ils sont superficiellement étoffés (le retour compulsif à la résistance passive du conseil des lionnes peut frustrer, même si Sarabi rationalise efficacement avec son sens du devoir ; l'égoisme revendiqué des nihilistes contredit leur facilité à partager). Disney comme le reste a tendance à se reposer sur des marques établies, alors on peut craindre ou rêver des prolongations dans cet eden libertaire.


Rétrospectivement les ellipses étaient nombreuses dans l'original, alors qu'ici on s'étend copieusement. L'exemple relativement malheureux est le retour de Nala et Simba, occasion de servir un dégueulis girly égalant le pire de La reine des neiges (auquel au doit sa notoriété). Certains cas ou personnages semblent négligés (les déçus a-priori diront placés par obligation) puis réintègrent le cycle avec force : c'est le cas de Rafiki (chaman génial et farceur devenu une figure paternelle décontractée). Les hyènes et leur environnement sont bien plus sinistres. Seul l'humour très appuyé autour du débile de la bande (davantage un dépendant pathétique qu'un attardé achevé) adoucit le trait. L'humour est justement le second témoin ou réceptacle des limites du film, après la musique : il n'est pas spécialement balourd mais donne quand même dans un second degré plombant à l'occasion. Lors des logorrhées de Zazou on perd en charme sans y gagner en drôlerie ; celles de Timon et Pumbaa sont convaincantes (Ivanov était un choix excellent pour réformer Pumbaa). Une fois que la glace a été trop vite brisée ils poussent la décontraction assez loin pour ne pas inspirer de regrets (cela implique malheureusement une démonstration bruyante qu'un Norbit lui, par sa vocation, n'avait pas le droit d'éviter).


Enfin le sous-texte politique est plus explicite et brouillé : la philosophie des doux anars est précisée et son illustration attractive, les marginaux sont devenus carrément écœurants mais ils sont plus blessés que ridicules, on entend leur amertume autant que leur envie. Ils sont mal-nés certes et pas moins irrécupérables - et d'aspect ingrat (Scar décharné, affublé d'une piteuse crinière). Leur détresse a le tort de les avoir endurcis plutôt qu'invités à l'acceptation du bel ordre du royaume (la résilience ne fait pas partie des concepts envisagés). Sur ce plan Le roi lion n'est pas plus conservateur qu'il y a 25 ans, il a simplement perdu de son sens mystique (dans les processus comme dans les symboles) ; il est davantage 'bourgeois matérialiste et réactionnaire' (d'où cette moindre aisance lors de l'apparition du spectre bienveillant). Car le problème désormais est autant économique que dynastique. Comme autrefois Scar fait des promesses d'abondance et parasite son propre domaine – lui et sa horde sont des chasseurs irresponsables dignes de Cersei dans GOT. Leur manque de conscience et de culture commerciale doublé de leur avidité les poussent à croire qu'il n'y a qu'à se servir, dans un lieu de paradis où les denrées sont inépuisables – mais seraient confisquées arbitrairement. Quoiqu'il en soit cette seconde mouture ne fera pas de l'ombre à l'original concernant les dialogues et chansons cultes ; même des enfants enclins à fuir une animation dépassée devraient trouver les anciens plus percutants.


https://zogarok.wordpress.com/2019/07/20/le-roi-lion/

Zogarok

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