L‘une des meilleures comédies françaises de tous les temps. Pas la plus légère, mais efficace et imaginative. Les Visiteurs a rassemblé près de 14 millions de spectateurs en salles en 1993, décrochant à l’époque la seconde place au box-office pour un film local, derrière La Grande Vadrouille. Intouchables et Les Ch’tis sont venus balayer cette performance, sont également des films-cultes, mais ils sont loin d’avoir eux le même impact ou même d’avoir infusés autant de gags et de répliques dans le cœur des masses.


Débarquant un comte du XIIe et son fidèle écuyer à notre époque, les Visiteurs est un tonnerre de fous rires, un défilé de caricatures parfaites (Nanty en cerbère de son patron, Bujeau en dentiste hystérique, Chazel en SDF farfelue). Pour Jean-Marie Poiré, qui en a eu l’idée enfant pendant un cours de mathématiques, c’est l’une des seules véritables grandes réussites, techniques et burlesques (Le Père Noël est une ordure et Papy fait de la résistance se distinguent, Mes meilleurs copains à la rigueur). Et un exploit, commercial aussi, car il a conquis le marché international, appelé une suite d’un destroy spectaculaire puis un opus commandé par les américains. Quand au personnage de Jacquouille interprété par Christian Clavier, il a engendré des rafales d’ersatz et conditionnée la carrière de l’acteur, jusqu’à ce qu’il prenne le costume de Napoléon dans une fiction haut-de-gamme pour la télévision.


En marge de la comédie euphorique, parfois trash à la française, il y a aussi les principes qu’un film valide. Dans la lignée du concept général, Les Visiteurs opère une symétrie entre les époques. Le film établit des liens générationnels, les ancêtres et leurs descendants se correspondant parfaitement (comme dans La Vie est un long fleuve tranquille, mais à une degré plus puissant encore). Ainsi le »petit fillot » de Jacquouille, rebaptisé Jacquard, est un nouveau riche vulgaire qui a mis la main sur le château des Montmirail. Il dépasse sa vocation sans tromper personne : d’ailleurs il sape tout, il est clinquant et grossier, ne fait que jouir de rentes volées.


La Nature et même la magie reconnaissent la place de chacun : Jacquouille se transforme en fiente, Montmirail en cristal. Pour ce dernier, il doit faire face à une descendante un peu opportuniste, bien trop adaptée, oublieuse bien que loyale envers ses racines. La configuration est relativement incestueuse, la descendante et l’épouse promise se confondant (et l’actrice est la même) – là aussi, il s’agit de nouer des correspondances, signer un héritage génétique et moral que ni le temps ni le changement n’effaceraient. Cette perception subjective est étendue aux différences sociales (« c’est un paysan, on ne le comprend pas » dit le médecin psychiatre à propos de Jacquouille).


Autant par la farce que dans son lyrisme, Les Visiteurs cultive une logique, des fantasmes et un humour conservateurs. Par conséquent il dramatise les liens du sang ; le départ final de Godefroy est vécu comme une rencontre au travers des âges et valorisé par un total premier degré. Ce sérieux de fond concourt au charme des Visiteurs. La comédie se double du conte (flirtant même avec l’horrifique – l’intrusion chez les sorcières) et comme dans Le Roi Lion, vainqueur du box-office l’année suivante, celui-ci charme notamment par l’affection pour l’ordre spontané de la tradition. La musique du groupe Era souligne ce quasi mysticisme, tandis que chacun, même les plus sales et moches (Ginette Sarclay) trouve une place et est finalement toléré là où n’est pas la sienne, car la grossièreté du décalage nourrit le divertissement de tous et que, de toutes manières, tout se range ou se voit en dernière instance.


Enfin je dois évoquer mon lien personnel à ce film : il a occupé des centaines d’heures dans mon enfance. Je l’ai revu récemment, l’ai pris comme tel, pour ce qu’il me donnait à ce moment-là ; je dois bien avouer qu’aucun souvenir précis, aucune sensation particulière ou intime, ne lui est associée. Pour autant, ce spectacle s’est ancré à jamais dans mon esprit. Et toutes les merveilles du septième art ne peuvent entamer la sympathie qu’il m’inspire. Dans tous les cas, le film me semble objectivement une réussite admirable. Parce que je le connais bien et le retrouve, je peux lui donner une note maximale, sans complexe, sans tergiverser. Les répliques, les ressorts et le scénario des Visiteurs n’ont aucun secret pour moi et pourtant, jamais le film ne s’épuise. C’est la démonstration ultime de ses vertus ; et une démonstration objective. La référence n’est pas raffinée, mais la composante beauf des Visiteurs ne fait que renforcer sa qualité et le succès de ses effets.


http://zogarok.wordpress.com/2014/12/08/les-visiteurs/


http://www.senscritique.com/film/Les_Visiteurs_2_Les_Couloirs_du_temps/critique/25871906

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le 8 déc. 2014

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Zogarok

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