Après Scorsese et son Hugo Cabret, c’est à Todd Haynes de céder aux charmes de l’écriture de Brian Selznick et son Wonderstruck, dans lequel on retrouve ce qui tapa dans l’œil du papy cinéphile : le regard des enfants sur le passé, via une intrigue on ne peut plus graphique, mêlant objets, musée et images.


La délicatesse propre à la mise en scène de Haynes ne se dément pas : sa capacité à naviguer entre les deux époques, l’une en noir et blanc de 1927, l’autre dans les dorés de 1977 est évidente : les échos fonctionnent, la fluidité est maîtrisée, et le cinéaste prend visiblement plaisir à filmer la course de ces enfants, dynamisant un procédé (travellings latéraux dans des rues devant lesquels les passants et les éléments urbains se succèdent) qu’il a souvent évoqué de façon plus posée dans ses films précédents.


Autre signe distinctif de son cinéma, la partition de Carter Burwell, malheureusement aussi poussive ici qu’elle était délicate sur Carol : le compositeur semble avoir pensé que le muet noir et blanc l’autorisait à tous les excès les plus explicites, dans une BO assez étrange, mêlant ses parties à des nappes de guitares qu’on croirait jouées par Gilmour avant qu’on nous impose la version Soul d’Also Sprach Zarathoustra par Deodato qui accompagnait déjà le Being There d’Hal Ashby en 1979. Un mélange d’autant plus étrange sur un récit dont le sujet central est la surdité…


Cet éclectisme déconcertant et assez peu cohérent dans la tonalité générale est symptomatique du film entier. On a bien compris que les cabinets des curiosités et diorama sont le centre de l’intrigue : ces espaces réduits dans lesquels on donne à voir des fragments d’autres mondes, ou des paysages exotiques à l’échelle réduite. Les deux seules idées qui attestent d’un véritable sens de la mise en scène jouent d’ailleurs de cette thématique : la poursuite entre le jeune garçon et son nouvel ami dans le musée, alors qu’ils sont toujours cadrés à l’intérieur des vitrines du diorama, donnant l’illusion qu’ils parcourent la terre entière, et la scène de récit final sur le Panorama, la gigantesque maquette de New-York de 1964 dans le musée du Queens, recourant à des modèles réduits et de figurines pour retracer l’histoire familiale. (On pense beaucoup à certaines séquences du très beau roman de Paul Auster, La musique du hasard, qui propose aussi cette idée de la maquette à l’échelle d’une ville entière).


Todd Haynes a dû vouloir filmer l’émerveillement à hauteur d’enfant, leur vue étant d’autant plus importante qu’ils sont atteints de surdité. En résulte de longs et assez pesants trajets contemplatifs, la plupart du temps dédoublés entre les deux époques, allongés encore par le recours à l’écrit pour communiquer avec les autres, et censés exciter notre curiosité sur les mystères de ce montage alterné qui n’a en réalité pratiquement rien à offrir. Le récit est un robinet à objets poussiéreux, images et souvenirs, combinant laborieusement les hasards et coïncidences pour converger vers un dénouement paresseux.


Car tout ceci s’évente bien rapidement : Le musée des merveilles annonçait pourtant les couleurs dès son titre : c’est un cinéma d’exposition, scolaire et bien ordonné, et dont les protagonistes sont des objets. On a beau faire régulièrement intervenir la foudre pour donner de la vie à cette galerie, rien n’y fait : les personnages restent, à l’image du récit final, à l’état de figurines.

Créée

le 19 mars 2018

Critique lue 838 fois

20 j'aime

7 commentaires

Sergent_Pepper

Écrit par

Critique lue 838 fois

20
7

D'autres avis sur Le Musée des merveilles

Le Musée des merveilles
takeshi29
9

Todd Haynes, plus si loin du paradis

L'exemple parfait de ce que devrait être un film familial. Haletant, merveilleux (Le titre original ne ment pas), émouvant, intelligent, d'une inventivité formelle incroyable, "Le Musée des...

le 18 nov. 2017

34 j'aime

8

Le Musée des merveilles
Sergent_Pepper
5

Robinet de curiosités

Après Scorsese et son Hugo Cabret, c’est à Todd Haynes de céder aux charmes de l’écriture de Brian Selznick et son Wonderstruck, dans lequel on retrouve ce qui tapa dans l’œil du papy cinéphile : le...

le 19 mars 2018

20 j'aime

7

Le Musée des merveilles
Kiwi-
5

Wonder Oddity.

De tous les films de la sélection officielle du 70ème Festival de Cannes, « Le Musée des Merveilles » est bien l’un des seuls que l’on pouvait attendre d’emblée comme un futur classique. Après «...

le 5 juin 2017

17 j'aime

Du même critique

Lucy
Sergent_Pepper
1

Les arcanes du blockbuster, chapitre 12.

Cantine d’EuropaCorp, dans la file le long du buffet à volonté. Et donc, il prend sa bagnole, se venge et les descend tous. - D’accord, Luc. Je lance la production. On a de toute façon l’accord...

le 6 déc. 2014

765 j'aime

104

Once Upon a Time... in Hollywood
Sergent_Pepper
9

To leave and try in L.A.

Il y a là un savoureux paradoxe : le film le plus attendu de l’année, pierre angulaire de la production 2019 et climax du dernier Festival de Cannes, est un chant nostalgique d’une singulière...

le 14 août 2019

701 j'aime

54

Her
Sergent_Pepper
8

Vestiges de l’amour

La lumière qui baigne la majorité des plans de Her est rassurante. Les intérieurs sont clairs, les dégagements spacieux. Les écrans vastes et discrets, intégrés dans un mobilier pastel. Plus de...

le 30 mars 2014

615 j'aime

53