Le Baiser mortel de la Reine du pétrole et des idées

Etrangement pour beaucoup, Le Monde ne suffit pas ne suffit pas.
Considéré bien à tort comme la suite logique de Demain ne meurt jamais, il pâtit d'une lecture superficielle s'arrêtant au sens naïf de son intrigue, de son manque d'exotisme - ou pour mieux dire de son exotisme froid, assombri rendu crasseux - et de la présence de Denise Richards qu'on trouve hypocritement trop "street" (et oui, "street" ne signifie pas noir, n'en déplaise au Elba's fan club!)
Mon impossible mission consistera à défendre ce dix-neuvième volet des aventures de 007 dont j'ai pu être un ardent détracteur lors de mes premiers visionnages. Mon impossible mission aura pour objet de montrer en quoi Le Monde ne suffit pas, contrairement à une idée communément admise, est un excellent James Bond.


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I'm bad, I'm bad! Who's bad?


Une vengeance pour Electre
Avant tout, Le Monde ne suffit pas réussit là où Rien que pour vos yeux a échoué, à savoir dans la mise en place d'une enquête plutôt à énigme qu'à procédure, axée sur l'identité du maître d'oeuvre du complot que James Bond cherche à contrer.
Dans Rien que pour vos yeux, Bond cherche à savoir qui a fait couler le Saint-Gerorge, un navire espion britannique, pour y récupérer un système militaire offensif top secret. Ses soupçons sont grossièrement aiguillés par son contact grec Kristatos sur le trafiquant de cacahuètes Columbo, joué par un Topol peu rompu aux rôles de méchants. Il est vite clair que le comportement de Kristatos est potentiellement celui d'un agent double qui se défausse sur son ancien camarade de guerre, témoin gênant de ses activités peu scrupuleuses. D'autant que Kristatos est campé par Julian Glover connu pour ses rôles de méchants. Averti ou non, le spectateur discerne vite le vrai du faux. Le suspens est vite vain et la mèche assez vite brûlée.
Dans Le Monde ne suffit pas, Bond est envoyé à Bilbao récupérer une somme d'argent revenant à Robert King, magnat de la construction en bâtiment et du commerce du pétrole. Mais cet argent est enduit d'un liquide qui mis en contact avec sa broche, s'enflamme et explose. Le MI6 manipulé cherche à deviner qui est à l'origine de cet assassinat par procuration. Bond se lance alors à la poursuite d'un sniper féminin qui s'assurait de la mort de King. Il finit par la rattraper et lui proposer sa protection en échange du nom du coupable. C'est là que Le Monde ne suffit pas se distingue de Rien que pour vos yeux: le sniper suggère l'identité d'un coupable que nul ne mettra en cause avant la terrifiante révélation finale !


Usual suspects
Le film pose en pré-générique cette idée simple et fallacieuse: Le Monde ne suffit pas est un polar d'espionnage à procédure. Un coupable est donné dès le début. Ce coupable est si évident comme le sont Goldfinger, Zorin ou Blofeld par exemple qu'il semble inutile d'en chercher un autre. On cherche à savoir comment il a agit, en vue de quel nouveau et plus catastrophique forfait.
En réalité, cette évidence première - dans toutes les acceptations sémantiques du mot - est livrée au spectateur par le sniper. Il s'agit de Giulietta da Vinci, créditée sous le vague pseudonyme de la Femme au cigare impeccablement jouée par la torride et charismatique Maria Grazia Cucinotta (Miracle à Palerme, Les Soprano). Cette James Bond Girl d'arrière-plan est plus importante qu'il n'y paraît car elle constitue la clef d'une énigme qui ne dit pas son nom. Le nom du personnage, lui-même tu dans les crédits, est assez parlant: da Vinci, comme Leonardo da Vinci. Les scénaristes ont cherché à crypter un message à travers elle. Le message non crypté qu'elle lance à Bond et aux spectateurs peut se paraphraser en : le coupable est un homme. Lorsque Bond dit pouvoir la protéger, elle répond: "Pas contre cet homme !". Homme nommé dès le post-générique: Viktor Zokas alias Renard.
Mais la vérité est plus complexe à l'image de la Femme au cigare, de son rôle dans la banque de Bilbao et du cigare qui la caractérise. Le pseudonyme remplace son véritable nom dans les crédit. Le cigare qu'elle donne à Bond est l'information trompeuse que l'on donne au spectateur. Lorsque Bond le donne à Miss Moneypenny, cette dernière le jette à la poubelle: il faut comprendre par là que l'information de Giulietta à venir est déjà bonne à jeter. Bonne à jeter comme l'impression première que fait la séduisante italienne sur Bond et sur le spectateur dans la scène à la banque de Bilbao. Bond tombe dans le guet-apens du banquier, Monsieur Lachaise, qui semble dominer la situation. Giulietta apparaît comme sa secrétaire dévouée, une employée soumise et discrète. Lorsque Bond reprend le contrôle, la voilà envolée et Lachaise très inquiet, qui demande à Bond de le protéger avant de se faire abattre. Abattre si ce n'est par Renard lui-même, qui prétend être l'auteur du tir, par Giulietta, qui est une tireuse d'élite et qui n'est plus dans la salle. La révélation de cette scène, c'est que le méchant typique est en réalité l'employé de celle qui semblait son employée et que les apparences dans Le Monde ne suffit pas sont extrêmement trompeuses. Dans cette scène, tout est dit de l'énigme du film dont le spectateur n'a pas encore conscience et dont certains spectateurs, même après plusieurs visionnages, n'ont toujours pas conscience.


Le reniement de Renard
Or donc, d'entrée de jeu, la sensuelle Femme au cigare accuse Renard avant de se suicider. Renard est ensuite présenté comme un ex-agent du KGB devenu un terroriste international recherché que le MI6 a failli éliminer peu de temps avant l'intrigue. Ce même Renard a enlever Elektra, la fille de Robert King et exigé une rançon pour la rendre saine et sauve aux siens. Renard ne peut être que le méchant de cette histoire.
Directement impliqué dans l'affaire d'enlèvement qui a blessé les King, il a aussi un mobile de vengeance contre le MI6. Renard est en effet en vie mais mourant. Un agent du MI6 lui a tiré dessus mais la balle entrée dans son crâne dérive encore jusqu'au cerveau annihilant un par un ses sens jusqu'à le tuer. Renard, pour paraphraser la célèbre formule de Chateaubriand, meurt par morceaux. Il se calque sur le personnage de Mark Clayford, un vieil ami de John Steed devenu son ennemi mortel, qui connait une situation existentielle analogue dans l'épisode des New Avengers intitulé *Méfiez-vous des mort*s en français. D'où ses sorties crépusculaires, comme d'outre-tombe du type: "Je suis fatigué d'être exécuté" ou encore "Vous ne pouvez pas me tuer: je suis déjà mort!".
Toutes les pistes mènent à Renard, seul méchant véritable en apparence. Tout, y compris son interprète le pointe du doigt. Renard est en effet incarné par Robert Carlyle, méconnaissable, crâne rasé à la Blofeld, teint très pâle comme celui d'un mort-vivant, un impact de balle sanglant sur la tempe. Celui qui a donné ses traits au violent Franco Begbie du diptyque Trainsporting, au controversé Dr Rush de Stargate Universe, au diabolique Rumpelstinkin de Once upon a time et surtout à Adolf Hitler dans Hitler:la naissance du Mal, prend un malin plaisir à dessiner toute une panoplie de rictus sur son visage qui, chauve, met en relief l'asymétrie de ses yeux. Tour à tour goguenard ou dément et désespéré, Carlyle contraint son personnage à porter les oripeaux du coupable, chef de l'organisation. Son entrée en scène se fait aux Devil's Breath, lieu de culte hindou qui semble avoir été inventé pour le film, comme recraché par Satan en personne. Sur les affiches, il prend la place habituelle des méchants bondiens, son visage géant se fondant dans le ciel, surplombant le héros et ses dames.
Plus que le jeu jouissif de Robert Carlyle, plus que les caractéristiques maléfiques qui le définissent, c'est sa place dans le thème global de l'oeuvre qui fait de Renard le méchant par excellence.


"There's no point of living if you can't feel alive"
Si cette phrase n'était pas si longue, elle eût pu devenir le titre du film, car elle résume son ambiance, son thème à la perfection. C'est pourquoi elle devient la devise commune de Renard et Elektra qui s'oppose à la devise titre familiale de Bond. C'est pourquoi, elle trône au milieu de la chanson-générique.
Littéralement, elle signifie: il n'y a pas de but à la vie lorsqu'on ne se sent pas vivant. Le sens de la vie, selon cette devise, c'est donc la sensation. D'où l'erreur impardonnable de la traduction française: la vie ne vaut pas d'être vécue si on ne la vit pas comme un rêve. Car cette dernière traduction inspire plus l'idée shakespearienne ou calderonienne d'incapacité de distinction entre le réel et l'imaginaire. Elle est intéressante puisqu'elle oriente le spectateur vers le thème de l'apparence trompeuse, également très présent dans le film. Mais elle ne rend pas justice à celui du sens qui rend vivant. Un sens convoqué à de multiples reprises et de différentes façons tout au long du film.
Car *Le Monde ne suffit pa*s est avant un tout une façon de filmer très particulière mise souvent sous l'égide du main title de la saga EON. Une belle épanadiplose cinématographique en témoigne. Au début du film, Bond s'échappe de la banque de Bilbao en sautant par la fenêtre du plus haut étage. A la fin du film, Bond saute du haut du phare d'Istambul servant de repaire à ses antagonistes pour rejoindre un sous-marin en immersion. Dans chacun des deux cas, la caméra suit 007 et accompagne visuellement sa chute libre, donnant l'impression au spectateur de sauter avec James Bond. On vit la sensation de sa chute. Façon de filmer qui se retrouve dans le mouvement montré en détail dans ses moindres détails comme dans la scène de poursuite sur la Tamise où le Q-boat virevolte et nous entraîne avec lui sous l'eau et dans les rues de Londres. Impression similaire à celle de l'explosion d'un avion-scie qui projette vers le spectateur les lames tranchantes des scies portées par l'avion. Impression similaire à celle où Bond se jette entre des portes d'acier qui se referment sur lui, la caméra le suivant de façon à nous y jeter avec lui. On croit sentir la chaleur des explosions, on croit sentir l'étouffement des nombreuses immersions de personnages. La caméra - et avec elle, le spectateur - se fait proche et voyeuse dans les scènes sensuelles et érotique et permet de faire ressentir le charnel. D'où sans doute le nom d'un des personnages féminins du film, nommé Warmflesh, chair tiède. Elektra joue d'ailleurs souvent avec un glaçon pour créer un sentiment de toucher frais, le faisant glisser sur ses formes ou le partageant avec Bond dans un baiser. Ce même Bond plus sensible que jamais au toucher, souffrant d'une épaule démise durant une bonne partie du film. Ce qui le rend vivant puisqu'il ressent.
Plus fort bien que plus subtil, l'impression de toucher rendue par le sens auditif dans la chanson-générique en totale accord avec les codes bondiens. Le groupe Garbage ou pour mieux dire sa chanteuse la chanteuse, Shirley Manson, joue avec la diction des paroles pour obtenir cette synesthésie. La chanteuse alterne les murmures, les sifflements et les heurts de l'air contre le palais dans sa prononciation d'autant de mots signifiant la sensation - feel, heal, kiss, kill, hurt - de façon à faire ressentir comme un toucher. Elle ajoute à son isotopie le sens visuel en faisant s'affronter les antithétiques show / conceal. Tout dans le choix et la prononciation des mots dans la chanson générique proposé par Garbage participe d'une merveille de jeu sensoriel.
Des sens qui sont à jamais interdit à Renard qui se pose en vilain petit canard qui fait de cette faiblesse une force en prenant des pierres brûlantes entre sa main quand cela représente un défi de foi pour les croyants hindous, en appuyant sur l'épaules douloureuse de Bond en affirmant qu'il n'a pas les épaules pour sa mission, en pointant du doigt une bombe sur le point d'exploser au visage de 007 tout en susurrant "Bientôt, vous ne sentirez plus rien du tout!". Une absence de sens qui le distingue des autres humains, qui en fait un monstre de Frankenstein tourné contre son créateur, le MI6 pour le briser. Une incapacité à ressentir et une pulsion, un désir de mort qui en fait le coupable tout désigné.


"Ils le croiront, tout le monde le croira ! Vous comprenez: personne ne peut me résister !"
Mais Renard n'est pas le seul animer par un désir de revanche et une pulsion de mort. Et c'est fixation sur lui qui trompe les autres personnages et les spectateurs. "Ils le croiront, tout le monde le croira ! Vous comprenez: personne ne peut me résister !", s'écrie Elektra quand Bond exprime son scepticisme en découvrant son complot. Car en effet, si le film exhale les sens, Elektra en est l'impératrice. Incarnée par notre sublime et vénéneuse française Sophie Marceau, connue pour La Boum en France et pour Braveheart à l'international, la fille de Robert King sait user de ses charmes, sait l'art de manipuler les gens et leur sentiments. Ce qui perdra M dans ce film et fera voir Bond et sa patronne tristes au chevet du serpent qu'ils viennent de mettre à mort. La brune fatale va jusqu'à tromper les spectateurs qui, au-delà du visionnage du film, la pensent manipulée par Renard. L'édition ultimate DVD se sent obligée de préciser: "Sophie Marceau est éblouissante en méchante". Car pour la première fois dans l'histoire de la saga EON, le méchant principal du film est une femme. Rosa Klebb n'était qu'un sbire de Kronsteen et Octopussy une méchante sans complot particulier, finalement alliée à Bond contre le vrai méchant du film. Fait exceptionnel qui a d'autant plus d'impact que le pouvoir de la méchante, tout réaliste, semble presque magique. Elektra se présente elle-même comme un être ayant du pétrole dans les veines. Sorte de Circée moderne, elle ressemble plus à l'Elektra de Marvel qu'à l'Electre des tragédies grecques mais joue avec chacune de ces références. Electre voulait venger son père, Elektra veut se venger de son père. Un écart artistique extrêmement subtil qui expliquerait presque à lui seul l'errement des spectateurs. Et celui de James Bond qui la croit victime avant de la soupçonner victime d'un syndrome de Stockholm, aux ordres de Renard par amour, avant de découvrir avec horreur que c'est elle qui a séduit Renard et l'a soumis à sa volonté. La Belle a apprivoisé et dressé la bête. Ironique quand on sait que plus tôt dans le film Renard se vantait d'être son "premier dresseur"!
Ironique aussi lorsqu'on écoute la chanson générique où une femme se vante de savoir manipuler les gens et de pouvoir s'emparer du monde. Elektra correspond en tout point à la définition de la Reine des Coupes Inversée telle que la définit James Bond dans Vivre et laisser mourir: "c'est la femme perverse, fourbe, tricheuse et menteuse". Et c'est exactement ce qu'est Elektra. La moindre de ses répliques et actions tient de la double énonciation et est susceptible d'une double interprétation. Lorsqu'elle joue une somme folle contre Zukovsky au casino, Bond est persuadé qu'elle agit par volonté de défier ceux qui veulent sa mort. Il est le seul dans la pièce à ne pas comprendre ce qui s'y joue vraiment: Elektra paye Zukovsky pour un service à lui rendre. Bond veut la protéger et manque malgré lui de démasquer la pièce de théâtre conçue juste pour lui par Elektra et Valentin. Ce dernier d'ailleurs en est fugitivement effrayé.
Mais Elektra correspond aussi à la véritable définition de la Dame des Coupes inversée, plus profonde en réalité que ne le suggère Roger Moore dans la réplique citée plus haut. Cette carte signifie celle qui est victime de ses passions et qui cache une déception, une grande tristesse. C'est le cas d'Elektra King qui en veut à son père, à M et à Bond qui se sont servi d'elle pour atteindre Renard. Elle est devenue mauvaise en se voyant sacrifiée et veut remodeler le monde à son image. Lorsque M provoque Renard en lui crachant: "soyez fier de ce que vous avez fait d'elle", ce dernier lui répond dans un ton mi-moqueur mi-amer: "J'ai bien peur que le mérite ne vous revienne! Elle était prometteuse (...) et vous, vous l'envoyez vers un homme comme moi !". Elektra n'est pas de ces mégalomanes qui hantent le panthéon des méchants de l'univers 007. C'est une jeune femme blessée par la génération de ses parents, un exemple typique des déclassés et des laissés-pour-compte dont parlent Maxime Chattam dans son article "Les mots, toujours..." pour le collectif Nous sommes Charlie ou encore les statistiques du Guardian . La Génération Y, sacrifiée, née entre 1980 et 1995, et dont Elektra est l'exemple vivant et le porte-parole visionnaire. Une génération laissée en pâture au terrorisme qu'incarne Renard et à sa propre pulsion de malveillance subissant celle d'un contexte économique fou mais omnipotent. Comme Alec Travelyan, Elektra est une méchante au vrai sens du terme; non pas animée par le mal mais mes (mal) chéante (tombant) en réaction à une injustice commise à son encontre.


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Le dernier des vrais Bond, le premier des nouveaux Bond


Le Monde ne suffit pas s'inscrit autant dans l'ancien Bond que dans le nouveau. A vrai dire, il sert de croisée des chemins pour la saga qui prétend avoir renouveler le personnage et ses aventures avec Casino Royale.


Le MI6 recrute !
Le MI6 est un bon exemple de ce cette croisée des chemins qu'incarne Le Monde ne suffit pas avec ses deux M, ses deux Q, sa cascades de nouveaux personnages !


Lorsque M rencontre M: le portrait de Miles Messervy
Judi Dench revient en force dans cette troisième apparition dans le rôle de M. Plus sensible et moins féministe, plus chef de MI6 avant tout, elle recouvre le crédit que lui avait offert Goldeneye. Elle ne peut néanmoins s'empêcher de laisser sa marque très moderne sur le film, plus présente sur le terrain que ses prédécesseurs, plus moralisante et toujours prête à l'anecdote de mère de famille.
Elle s'oppose donc à un prédécesseur surgi de sa tombe au travers de son immense portrait qui contemple, tel un sphinx les événements du film. Ce portrait de M représente le personnage joué par Bernard Lee qui reste le meilleur des interprètes de M. Miles Messervy est peint avec un verre de vin à la main, sans doute en référence aux problèmes de boisson de son interprète.
Toujours est-il que cette rencontre des deux M pose la question des origines et de l'avenir de la saga comme pour signifier une fin d'ère ou un passage de flambeau.


"S'il succède à Q, il doit s'appeler R"
Cette réplique a pour cible le nouveau Q qui apprend sous les ordres d'un Major Boothroyd méditant une retraite bien méritée. De fait, il s'agit dans la scène qui voit les deux Q en action de la dernière et émouvante apparition de Desmond Llewelyn, plus attachant que jamais. Un dernier tour de piste pas aussi anthologique que la démonstration de la DB5 mais aussi sobre et discret que le premier tour de piste dans Bons Baisers de Russie.
Si l'interprète meurt dans un accident de voiture peu de temps après la sortie du film, Bond s'inquiète bien de sa réaction en voyant la BMW découpée qu'on lui rapportera. Car il est vrai que Boothroyd est plus démonstratif dans ses sautes d'humeur que l'aseptisé et bureaucratique successeur qui entre en scène dans Le Monde ne suffit pas. Un successeur que Desmond Llewelyn a choisi pour son personnage en la personnage du Monty Python bien connu John Cleese (Un Poisson nommé Wanda, Créatures féroces, Sacré Graal ou L'Hôtel en folie). Usuellement appelé R, en référence à l'astuce de 007, ce nouveau Q impose son style différent, tout aussi drôle à sa manière. R est d'ailleurs présenté comme une jeune recrue de Q étant probablement aussi âgé que son mentor, ou peu s'en faut. Il bénéfice du jeu et de l'image d'un acteur ayant donné dans toutes les plus grandes institutions narratives britanniques de Sherlock Holmes à Frankenstein en passant par Harry Potter et le Docteur Who. Le relais est passé, le nouveau Q est bon. Mais peut-on vraiment s'en satisfaire? C'est ce en quoi le film interroge les volets à venir.
Néanmoins, l'un comme l'autre offre une belle batterie de gadgets qui, certes, n'arrivent pas à la cheville de ceux de Demain ne meurt jamais. Au menu, une BMW que l'on peut conduire à distance avec la clef disposant d'un lance-missile et d'un volant avec programme de ciblage et d'aide au tir, une cornemuse lance-flamme, un blouson libérant une sphère de sécurité anti-avalanche, des lunettes liées à un pistolet-bombe qu'elles déclenche, des lunettes déshabillantes qui dénoncent les armes des adversaires et découvrent les dessous des dames, une carte bancaire recelant une batterie une série de clefs universelles. De quoi se surprendre tout de même.


Tous répondent à l'appel
Il est vrai que l'ère Moore a pu introduire de nouvelles têtes au sein du MI6 comme Frederick Gray, Bill Tanner, Penelope Smalbone, Kimberly Jones. Mais Brosnan et en particulier Le Monde ne suffit pas introduit des personnages ayant pour but de redessiner un MI6 appelé à devenir plus présent dans les films.
Ainsi outre le retour de l'incontournable Miss Moneypenny toujours aussi bien jouée par Samantha Bond, on retrouve côte à côte les deux personnages en lutte de place dans Goldeneye et Demain ne meurt jamais, enfin mieux définis. Bill Tanner reste le chef d'état-major et Charles Robinson devient le chef de la sécurité. Michael Kitchen reprend son rôle mais apparaît peu déjà relégué aux anciens Bond au profit du jeune Colin Salmon qui joue les gardes du corps. Le statut de ses deux personnages rappelle au questionnement d'une transformation à venir de la saga EON.
Enfin, à l'instar de l'examinatrice de conduite Caroline, la saga introduit le personnage de Molly Warmflesh, jouée avec l'humour grivois et l'auto-dérision nécessaire par Serena Sott-Thomas (Spy Girls, Otage), la soeur de Kristin Scott-Thomas(Mission: impossible). Le prénom de l'actrice rappelle celui de l'interprète de Caroline, Serena Gordon. Le prénom du personnage évoque évidemment celui de l'interprète de Patricia, la masseuse d'Opération tonnerre. Un nouveau personnage qui aurait pu avoir sa place dans la saga mais que les volets suivants préféreront ignorer.


Le Monde ne suffit plus: l'exotisme revisité
S'il est une chose qui caractérise un volet des aventures de 007, c'est l'exotisme et le dépaysement qu'il procure. C'est que réside l'une des grandes fautes du film. Une faute qui s'inscrit dans ce questionnement sur l'héritage et l'avenir de la saga Bond.
Comme dit initialement, le dix-neuvième volet des aventures de James Bond offre un exotisme froid et crasseux. Le désert d'Azerbaïdjan et ses puits de plutonium sont une véritable faute de goût que beaucoup trouveront impardonnable et qui préfigurent l'exotisme crasseux de Quantum of solace.Mais Le Monde ne suffit pas rallie avec Londres et Istambul, lieux mythiques de la saga, présentés ici de façon assez grise, tristement réaliste. Qu'il nous semble loin l'Istambul de Bons Baisers de Russie qui ne reviendra qu'avec Skyfall!
C'est qu'il faut y voir une volonté de trouver de nouveaux lieux et du nouveau dans des lieux familiers. Bond semble avoir tout explorer et atteindre ses limites de voyages. Skyfall en remontrant Macao et Shanghaï sous un jour inédit témoignera du même soucis finalement louable.


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EON: Enivrants Ou Navrants
Le Monde ne suffit pas est aussi le lieu où l'on retrouve Valentin Zukovsky et où l'on rencontre le Dr Christmas Jones. On les aime ou on les déteste, c'est selon. Ils servent ou desservent le film.


"Pourquoi me demandai-je tout d'un coup si j'avais bien souscrit à une assurance-vie? On se calme, James !": le retour de Valentin Zukovsky
Point fort du film, le retour de Valentin Zukovsky qui, comme Boothroyd, effectue son dernier tour de piste. Toujours interprété par l'hilarant Robbie Coltrane (Harry Potter), il nous délecte de ses sorties et de ses mésaventures. Lorsque Bond entre en trombe dans son bureau, le dérangeant en présence de jolies filles, il s'exclame: "Pourquoi me demandai-je tout d'un coup si j'avais bien souscrit à une assurance-vie? On se calme, James !". Lorsque le même Bond entre en trombe dans son bureau d'une usine à caviar, il laisse échapper un "Vous ne savez pas dire bonjour comme cela se fait couramment?" avant de murmurer à la James Bond Girl: "Je serais vous, un type comme ça, j'aurais pas confiance!". La même James Bond Girl qu'il surprend dans son bureau en disant: "Je vais appeler la sécurité ! Et les féliciter. Un verre?". I l y va de ces insultes dont lui seul a le secret, manque de se noyer dans son caviar, gromelle toujours contre l'économie qui veut sa perte et voit son usine s'effondrer.
Zukovsky n'est pas uniquement le trublion que le spectateur a connu dans Goldeneye. Contrairement à Jack Wade, il se renouvelle, opère des changements. C'est le Rastignac bondien, qui passe de patron d'un bar miteux à PDG d'une entreprise produisant du caviar et d'une chaîne de casinos. Socialement plus élevé, il est également plus investi dans plus impliqué dans le complot des ennemis de Bond. Enfin, il troque son physique de gangster pour celui de dandy avec sa petite moustache.
Ce qui le rend si attachant dans Le Monde ne suffit pas, ce n'est sa plus importante présence à l'écran. C'est son final à la hauteur du personnage.


Tué par Elektra King, il a la possibilité dans un dernier souffle de lui tirer dessus en représailles et la tuer à son tour. Il préfère diriger son arme vers Bond attaché par un mécanisme à une chaise de torture qui peu à peu l'étrangle. On appréciera l'allusion grivoise d'Elektra assise sur les cuisses de Bond concernant la façon dont les hommes réagissent à la mort par étranglement. Zukovsky choisit de tirer sur le mécanisme au niveau de la jambe de Bond. Il détraque ainsi le mécanisme et fait un clin d'oeil à Bond qui lui a tiré dans la jambe, le rendant boiteux.


Le transfuge des slasher movies
La nouvelle James Bond Girl est une scientifique qu'on rapproche souvent et à tort de Stacy Sutton, la géologue de Dangereusement vôtre. Elle est Docteur en recherche nucléaire, sait désamorcer des bombes et expliquer les phénomènes techniques. C'est elle qui explique ce que projette Elektra. Un des complots les plus complexes de la saga: faire fondre le réacteur d'un sous-marin nucléaire pour créer une explosion dans tout le Bosphore jusqu'à Istambul. Le but est de récupérer tout le pétrole en faisant croire à un accident pour en justifier l'acquisition. De plus, les destructions provoquées par cet "accident" permettraient aux entreprises King de reconstruire tous les bâtiments. Elektra ressort doublement gagnante au prix de toutes les vies et de tout le patrimoine des environs du Bosphore.
On a souvent critiqué le Docteur Christmas Jones arguant du ridicule du jeu de mot sur son nom et de l'aspect caricatural d'un docteur en recherche nucléaire habillée en mini-short et débardeur. On notera que le personnage se fâche contre les plaisanteries douteuses à l'encontre de son nom. On notera aussi que son discours mime celui de Q. S'il est une caricature, c'est celle du vieux chercheur aigri et âgé en blouse auquel correspond celui que remplace Bond; or Christmas casse ce cliché étant une jeune femme dynamique habillée de façon sportive. S'il est une autre caricature, c'est celle de la James Bond Girl e,n total diapason avec son nom comme Plenty O'Toole ou Chewing Me. Un autre cliché détruit par la belle chercheuse.
Ce qui dérange vraiment, c'est son interprète Denise Richards, célèbre pour ses rôles de slashers en particulier dans Mortelle Saint Valentin ou Sex Crimes. Les choix vestimentaires très sexy de son personnage donnent l'impression que la belle s'est trompée de plateau et pense tourner un slasher. De ce fait, elle tranche avec l'univers environnant de ce James Bond avant de s'y accorder très tard en excipit. C'est pourtant une James Bond Girl tout à fait convenable qui, si elle n'apporte rien de bien nouveau, ne déçoit pas pour autant.


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Un James Bond excellent qui pâtit d'une James Bond Girl qui laisse mitigé, d'un contexte qui interroge la valeur des nouveaux volets face aux anciens. Un dix-neuvième volet qui se veut un passage de relais entre le James Bond classique et un nouveau Bond. Il ne le sera pas car Meurs un autre jour échouera à cette tâche pour laisser place au bournien, charmant mais iconoclaste Casino Royale.


Quoi qu'il en soit, Le Monde ne suffit pas est un jeu sur les sens et sur les apparences qui ne peut que charmer malgré un exotisme repensé qui ne doit pas faire oublier la maestria de la narration et de l'intrigue.

Créée

le 19 sept. 2016

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Frenhofer

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