Rien de mieux qu'un mongolien pour réchauffer le coeur d'un dépressif

Grand succès public à sa sortie, Le Huitième jour est probablement un film comme Patrick Sébastien aurait aimé en faire – et peut-être pu s'il avait été épaulé. Son approche de la trisomie est positive en tous points – optimiste, guillerette, inclusive, complaisante, sans recourir à l'hypocrisie ou aux mensonges condescendants. Le duo formé par l'handicapé en fuite et le cadre à la dérive est joyeusement dysfonctionnel – et son évolution très prévisible.


Le film recèle la critique sociale du sentimental [et naïf de conviction] 'doctrinaire' : Harry/Auteuil (cadre zélé et usé) a le vide et la réussite sociale, peur de la vie spontanée, un optimisme de façade – et plus désolant encore, un optimisme d'homme d'audits. Il n'a pas la sagesse de cœur du mongolien ! Encore moins l'enthousiasme et l'élan vital. Georges sera pour lui un cadeau salutaire et réciproquement, avec des 'mais' et des limites, puisque l'univers d'Harry n'a pas tant à lui apporter – la sécheresse y est trop forte. Le suspense est surtout de ce côté, pourtant ce n'est pas là qu'on est amené à regarder, car au fond Georges a déjà tout ce qui lui est nécessaire – à l'exception d'une compagnie, de soutiens assurés.


Ce film a le mérite de la cohérence, d'être entier et synthétique. Il en a un autre également précieux : de ne pas se faire d'illusions ou d'en vendre sur ses sujets, de rester conscient des réalités - tout en étant debout contre elles. Il souhaite changer ou repousser les faits du monde, mais n'y va pas la doctrine ou le caprice devant – il braque d'abord son sens du romanesque, sa sensibilité, sa dérision (pas celle du ricaneur ou du cynique – ni celle d'un Willy 1er cumulant 'bien-pensance' et mesquinerie). Selon les moments, nous partageons le regard de Georges ou relativisons le nôtre. Ses excès ne sont pas présentés de façon pathétique, ne doivent a-priori pas inspirer la honte, même lorsqu'il tient un peu de l'animal (en se faisant guider pour traverser la route).


Les impulsions du trisomique débouchent sur plusieurs scènes de comédies. Quelques farces ou surenchères montrent son intelligence tactique et son humour – ceux d'un enfant. D'autres passages relèvent à divers degrés de la fantaisie, en découvrant la vie 'alternative' de Georges : à l'intérieur une vie normale et heureuse se poursuit, agrémentée de féeries et d'interventions de Luis Mariano (le chanteur en costume à paillettes peuple ses songes en chantant 'Maman je t'aime'). Son imagination participe à l'originalité du film (notamment avec cette cavalerie des steppes lancée à la recherche de la petite amie – mongolienne aussi). Avec ses congénères il ouvre les festivités (factuellement, les portes du cirque). Ensemble ils viennent mettre 'l'ambiance' à la conférence de Future Bank ou peut-être, simplement, briser la torpeur de cette assemblée, relativiser son sérieux et l'importance de ses discussions.


À la fin on jette les carcans de l'ordre et de la raison, jusqu'à faire péter le feu d'artifice – mais tout ça n'est pas qu'un rêve et les retombées que les simples d'esprit auront oublié d'anticiper arrivent et poussent les grands espoirs vers la sortie. Plus à la fin encore, Harry sympathise avec des éboueurs, manifestement de 'bons vivants' tout en 'simplicité'. Les classes laborieuses remplacent le gogol à la ville – il y aurait de quoi s'offusquer ou se sentir embarrassé, mais c'est encore juger et prendre la légitimité de l'autre, c'est aussi rester extérieur au point de vue du film, ne pas embrasser cette candeur convaincue, possiblement militante (contrairement à T'aime de Patrick Sébastien où elle le débordait). Le Huitième jour est un partisan conscient, 'éclairé' mais toujours idéaliste et moraliste, de la niaiserie et du mignon. Cette affirmation est à son paroxysme quand Harry s'exclame « oh une coccinelle » en pleine réunion, puis via les représentations dans les scènes suivantes (face à l'écran de neige, marchant sur l'eau).


Selon le parti-pris établi, le bas de la société et du développement détient le contact authentique, premier, avec la vie, en somme côtoie, par instinct et non en raisonnant, 'le vrai le beau et le bon'. Le Huitième jour est à l'opposé d'une vision élitiste, abstraite, exigeante de l'Homme (il ne se soucie pas de la réprimer, ne le souhaite probablement pas, se place ailleurs). Il y préfère une version 'ratée' (différente ou diminuée sont défendables), qui ressemble à une régression intense de l'Humanité normalement mue et constituée, capable de fonctionner (avec des béquilles et de l'attention) mais pas de produire. Élever la débilité ou l'inconscience au rang du normal et de l'aimable est subversif. Après la parodie d'humain, une parodie de Jésus clôt la séance (un jour s'ajoute à la semaine fournie par Dieu – comme un chromosome s'est invité pour déformer la création). L'individu est laid et retardé (ses lunettes de soleil révèlent une parenté avec le type du Gangnam Style), ce n'est pas tout à fait un pécheur, mais comme les gens de cette trempe il est difficile à aider, à aimer, à tolérer – sincèrement. Il pousse à l'humilité.


Pascal Duquenne est devenu un comédien rare mais emblématique à partir de ce film. Depuis vingt ans il assure la visibilité dont les trisomiques 21, comme toute minorité stigmatisée (ou lésée par l'ordre spontané), doivent théoriquement jouir. Concrètement il surgit ponctuellement dans des pubs ou des émissions télés, voire dans quelques films, son activité de graveur l'occupant davantage sur le long-terme. Il a aussi participé aux tournées internationales d'une pièce et d'un spectacle de danse et obtenu la reconnaissance des institutions de son pays (étiqueté commandeur de l'ordre de la couronne). Le réalisateur, belge lui aussi, est revenu à deux reprises avec de grosses promesses (via Mr Nobody avec Jared Leto puis Le Tout Nouveau Testament avec Poelvoorde).


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le 8 janv. 2018

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