L’échec commercial de Scott Pilgrim en 2010, adaptation ambitieuse et jouissive du comics canadien du même nom, a montré que le cinéma d’Edgar Wright, quand il n’était pas associé aux noms de Simon Pegg et de Nick Frost, ne soulevait pas les foules. Était-ce l’envie d’en finir une bonne fois pour toute qui donne cette allure si funèbre à The World’s End, ultime volet de la trilogie improvisé par le trio ? The World’s End (ou Le Dernier Pub Avant la fin du Monde en français) est un film sur l’échec et sur un homme, l’illustre Gary King, sur ses illusions et sa volonté de finir ce qui peut être considéré comme sa seule et unique œuvre, le barathon à travers les pubs de sa ville natale. Ce Gary King ne serait évidemment qu’une anecdote si son interprète n’était pas Simon Pegg dont le génie comique parvient à se mêler à la perfection avec un sens de la dramaturgie hors du commun. Il transcende son personnage, pourtant pathétique, presque bovarien, et amène du contraste à sa prestation, entre le déséquilibre constant de son existence et ses quelques onces d’espoir qui le mènent à croire en un nouveau présent. De l’autre côté, Edgar Wright a su aussi créer de l’espace pour faire évoluer les autres personnages et emmenait son métrage vers une sorte de chronique, sans cesse tiraillée entre ses ambitions spectaculaires et sa volonté de renouvellement au travers d’un ton plus grave et une maturité au niveau de l’écriture.

Au travers d’une intelligente utilisation de noms et de surnoms chevaleresques à souhait (Gary King, Steve Prince, Andrew Knightley, …), The World’s End embrasse constamment différents genres avec une fluidité déconcertante, emmêlant le tout dans un emballage visuel d’une qualité sans précédent. Filmant au fil des pulsions de son héros, le travail entre Edgar Wright et son chef opérateur Bill Pope offre quelques moments de grâce, d’infini bonheur et les chorégraphies des combats parmi les plus intelligentes de cette année 2013. En plus de s’être affirmé comme un formidable metteur en scène dont la mise en scène provoque un plaisir de visionnage si particulier, Edgar Wright semble avoir trouvé avec The World’s End les maillons manquants à son accession en tant que cinéaste à l’aise sur tous les fronts.

The World’s End est une réussite car c’est un film qui ose. Étirant ses séquences jusqu’à l’écœurement, confrontant les références, les genres pour créer un tout homogène, Edgar Wright et Simon Pegg ont su où chercher pour diversifier le ton, pour donner de l’épaisseur à leurs personnages dont Gary King et Andrew Knightley en sont les emblèmes. La relation que mène les deux héros montre sous un nouvel angle la manière dont le trio abordait l’amitié dans leurs précédents films. Derrière une succession de non-dits, les niveaux de lecture de ce métrage se révèlent abondants, entre la tragédie moderne et la comédie générationnelle grinçante. The World’s End traite d’erreurs passés et de la quête d’un présent dans lequel la stabilité et le refoulement seraient essentiels. Shaun of the dead parlait d’un homme amoureux qui tentait de rester proche de son ami de toujours, Hot Fuzz d’un agent de police découvrant la notion d’amitié, The World’s End montre un homme qui ne peut plus avancer et qui cherche, dans le passé, une manière de trouver qui il est vraiment. Trouver dans les figures, dans les emblèmes (répétitions du Loaded de Primal Scream incrustées dans les dialogues) l’homme qu’il a oublié d’être, alors que la quarantaine frappe à sa porte.

Apportant tension mais aussi un certain élan comique (un rythme constant dans les gags qui permet à The World’s End de jamais forcer la porte de l’ennui), la plus belle réussite du film est d’avoir su mettre en évidence les failles d’un roi autoproclamé, d’avoir mis à mal son orgueil et dévoilé avant tout la fragilité d’un personnage vivant dans le passé. Le rire provoqué par chaque scène, chaque dialogue, est grinçant et le visage tuméfié d’un Simon Pegg, dont les accents de folie semblent être une part de lui-même, touche droit au cœur. De son prologue galvanisant à son épilogue brillant, seuls les quelques problèmes de rythme, ces soudaines chutes, viennent un peu empiéter sur le bonheur qu’offre très régulièrement le film d’Edgar Wright.

Brillant car surprenant, porté par une écriture et un casting stupéfiants, The World’s End est clairement le film le plus abouti de la trilogie de par la multitude de thèmes qu’il traite et la manière dont il fait sans cesse la liaison. A la fois ode à l’amitié du trio et chronique désemparée d’une jeunesse devenue adulte, baignée dans des illusions anachroniques, Edgar Wright a su manier drôlerie avec tragédie, réel avec imaginaire, et son film, couillu et hilarant, offre à l’année 2013 l’un de ses plus beaux moments.
Adam_O_Sanchez
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le 25 oct. 2013

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Adam Sanchez

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