Petit western atypique, vaguement inspiré du périple de Hugh Glass, Man in the wilderness prolonge admirablement bien la réflexion véhiculée tambour battant par l'excellent Vanishing Point. La démarche n'a rien de choquant puisque le western et le road-movie ont aidé à fonder la belle mythologie américaine. À l'aube de ces années 70, cette société va mal, cette civilisation dite évoluée devient le lieu de la déchéance et de la barbarie : l'individualisme, le productivisme et la société policière ont occulté depuis longtemps le doux rêve américain. La guerre du Vietnam fait rage au loin et les derniers à rêver encore au mot "liberté" ne sont que des illuminés, perdus dans ce désert aride que sont devenus les Etats-Unis d'Amérique. Une seule solution s'offre à celui qui désire s'en sortir, Kowalski ou Bass, il lui faudra rompre tout lien avec ce système afin d'épouser une vie plus saine, plus en accord avec les valeurs humanistes et la nature...il lui faudra, tel le phénix, renaître de ses cendres.


La renaissance, qui est au cœur du film, nous en rappelle une autre, bien plus célèbre, qui est celle du fameux Jeremiah Johnson : même personnage de mountain-man, même époque, mêmes épreuves à traverser. Si la différence de budget se voit à l'écran, Sarafian et Pollack se retrouvent unis par le désir de coller au plus près du réel. Ainsi, on ne s'étonne pas de voir Man in the wilderness prendre la forme d'un pseudo documentaire, retranscrivant minutieusement la nouvelle vie de Bass : il commence par ramper avant de réapprendre à marcher ; il réapprend à se nourrir (en se mettant successivement à la cueillette, la pêche et la chasse, occasionnant des scènes parfois cocasses), à se protéger (en domestiquant le feu) et à se soigner avec les moyens du bord (feuilles, plantes, etc.). Tout cela n'est pas inintéressant, bien au contraire, mais le manque de rythme et l'aspect minimaliste de certaines scènes (l'attaque de l'ours, qui était bien meilleure dans mes souvenirs, nous fait malheureusement davantage sourire que frémir) viennent bien souvent entamer notre enthousiasme. Heureusement, la qualité de la photographie et l'interprétation très convaincante de Richard Harris sont là pour maintenir continuellement notre intérêt.


Surtout que Man in the wilderness ne se contente pas d'être un simple survival, puisqu'il se dote rapidement d'une belle dimension philosophique. L'apprentissage de la vie sauvage va permettre à Bass de réapprendre à réfléchir, revoyant par la même occasion son système de valeurs. Au début du récit, notre homme était perçu comme un obscur individualiste, qui délaisse sa famille pour aller chercher fortune, et possédait un tempérament violent, privilégiant l'éloquence de la pétoire à celle de la parole. Autant dire que ce rejeton de la civilisation avait tout du parfait barbare. C'est au contact de la nature, qu'il va s'ouvrir aux choses essentielles de la vie, reprenant conscience de ses responsabilités de père (la scène de l'accouchement indien est sans doute le moment le plus fort du film), privilégiant le panthéisme à toute autre religion et délaissant tout désir de vengeance. Si dans la nature la violence existe, elle est simplement dictée par la nécessité (se nourrir ou se défendre). La démonstration entreprise par Sarafian est passionnante, mais là aussi on le suit parfois difficilement, notamment lors de ses séquences oniriques dont la signification et l'esthétisme nous troublent bien souvent.


D'une manière générale, l'aspect "retour à la vie sauvage" est bien retranscrit et rend le récit plaisant à suivre, c'est essentiellement en développant sa dimension symbolique que Sarafian s'égare quelque peu. En cela, l'exemple le plus parlant demeure la partie du récit consacrée au capitaine Henry. Son apparition, au début de l'histoire, est totalement surréaliste : on le voit à la tête d'un navire, gravissant péniblement un océan rocailleux, tiré par des mules. On pense bien sûr à Fitzcarraldo et on s'interroge immédiatement sur le sens de cette séquence, pour le moins étrange.


Pourtant tout est simple, surtout si on a en tête Vanishing Point. Ce bateau, symbole de liberté absolue, se retrouve au point mort car l'homme a voulu se croire plus fort que la nature : folie !. Cet homme, incarné par John Huston, rappel fortement Achab : même déraison, même obsession destructrice. On comprend ainsi où veut en venir Sarafian, sans la nature, l'homme n'est rien et ne peut réaliser ses rêves : c'est ce capitaine échoué, c'étaient les hippies, de Vanishing Point, croupissant dans le désert (mais si, rappelez vous, la bande de hippie, avec la blonde nue sur sa moto...). Seulement, si on comprend bien certains éléments, comme le rôle de l'eau (c'est son absence qui freine le rêve d'Henry, c'est sa présence qui sauve Bass), l'ensemble reste pour le moins confus. Les personnages étant peu développés, leurs motivations restent troubles ; dommage ! Man in the wilderness est un film étrange, certes passionnant, mais qui semble avoir deux sujets, deux intrigues. Une dichotomie que l'on retrouve d'ailleurs dans les titres VO/ VF : Man in the Wilderness/ Le Convoi sauvage.


Procol-Harum
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le 13 août 2023

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