Le fidèle de Lubitsch pourra être un temps troublé par le ton nouveau de cet opus testamentaire. Certes, le milieu reste le même, celui d’une haute société qui, débarrassée de ses soucis matériels, se préoccupe avant tout de ses plaisirs. Mais le principe du récit rétrospectif occasionne ici une mélancolie nouvelle. Henry pose sur lui-même et son parcours un regard sans concession : il a été un enfant avide de plaisir, manipulateur et incapable de résister au plaisir depuis son plus jeune âge. Le parallèle avec l’esprit pétillant de Lubitsch lui-même est évident, et colore encore d’une aura nouvelle son film qui sera l’un de ces derniers.
La finesse d’écriture est toujours de mise, et la satire des mondains ou des riches paysans du Kansas fait des merveilles. Le personnage d’Henry n’est pas l’électron libre que sera Cluny Brown, car il se fond dans le décor pour en obtenir ce qu’il souhaite. Opposé au modèle rigide d’Albert (qui quant à lui est l’exacte modèle du pharmacien Wilson de Cluny Brown) malin, d’un charme indéfectible, il est le comédien par excellence. Mais l’intelligence de ses conversations tient surtout à ce que personne n’étant dupe, tout le monde s’en sort avec les honneurs. Martha lui passe bien des écarts, parce qu’elle devance le diable pour considérer la bonté inhérente au personnage. L’humanité est immature, en quête de plaisir et de divertissement, autant faire avec : c’est bien là le message laissé par le grand-père, patriarche iconoclaste et jubilatoire.
Bouillonnant, mais toujours posé, menteur mais d’une sincérité désarmante, Henry est un illusionniste comme bien des personnages de Lubitsch, à ceci près que semble être venu le moment de dévoiler ses tours. La mélancolie, la conscience de la fuite du temps, le deuil nimbent le récit d’une atmosphère singulière. Que reste-t-il des plaisirs évanescents ? Une jubilation toujours renouvelée, celle de la mémoire, celle de la malice d’un récit juste et touchant où les générations se succèdent et la roue tourne.
Et purgatoire ou enfer, qu’importe quand on a eu Gene Tierney pour épouse, en couleur qui plus est : le paradis fut sur terre.

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Sergent_Pepper
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le 13 juin 2014

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Sergent_Pepper

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