Le Chant de l'exil
7.7
Le Chant de l'exil

Film de Ann Hui (1990)

許鞍華 [Ann Hui] est une réalisatrice majeure dans le cinéma Hongkongais contemporain. A mon avis elle a fait de très grands films mais aussi parfois des films bien moins bon, mais dans tout les cas elle a le mérite d'avoir une carrière importante. Pourtant si j'en crois Sens Critique ses films sont bien peu vus, et de toute manière la plupart sont très difficilement trouvables (mais bon, partir à la recherche de films de différents pays d'Asie bien trop peu connus en France mais qui font saliver un amateur comme moi, pour moi c'est presque un jeudi). D'ailleurs malgré mon envie de voir 客途秋恨 [Le Chant de l'Exil], sans l'aide précieuse de Psycox j'aurais été bien démunis et contraint de remettre cette magnifique découverte à un horizon incertain. J'aurais ainsi raté ce qui est, des quelques films d'Ann Hui que j'ai vu, son plus grand film mais aussi son plus intime (Cela dit je ne dirais pas non à une copie de meilleure qualité que celle sur laquelle j'ai mis la main).


En effet le film raconte littéralement les racines d'Ann Hui, ce qui a fait d'elle la femme qu'elle est. De la naissance d'un père Chinois et d'une mère Japonaise en Mandchourie en 1947 (donc comme dans le film un rapport fort à la guerre à peine terminée quand elle naît, la Mandchourie ayant été influencé par l'invasion du Japon durant la guerre), à l'enfance à Macao puis à Hong-Kong, en passant par le passage en Angleterre puis le retour à Hong-Kong pour y faire du documentaire télévisuel à la fin des années 1970, avant qu'elle n'arrive au cinéma. Toutefois si la réalisatrice puise dans son propre passé, il fait aussi dans une moindre mesure écho à celui de son actrice principale incarnant Hueyin. Celle pour qui je ne cache plus mon admiration voire même mon amour un peu fou (si tu as lu mes autres critiques ou vu mes autres listes, tu en as peut-être même un peu marre que je la mentionne aussi régulièrement mais moi je ne me lasse pas de parler d'elle et de ses grands rôles), 張曼玉 [Maggie Cheung]. Certes dans son cas le film a bien moins des allures autobiographique, mais il rappelle tout de même certains moments de sa vie, notamment l'influence occidentale mais pas que, elle aussi est passée dans sa jeunesse par l'Angleterre, mais de retour à Hong-Kong dans l'audiovisuel à partir début des années 1980, d'abord dans la publicité à la télévision de par son statut de mannequin, puis dans des séries télévisuelle avant d'arriver au cinéma.


Ainsi c'est une œuvre très personnelle sur bien des plans et l'on peut sentir toute la sincérité de la réalisatrice déborder de ce film. Elle déborde mais avec une grande justesse et cette justesse existe grâce à une certaine simplicité dans la manière dont la mise en scène aborde ce rapport aux racines. La caméra de Ann Hui est naturaliste, garde toujours un certain calme vis à vis de ce qui est porté à l'écran, elle est précise et claire sur ce qu'elle veut nous faire comprendre, sur les tensions de diverses natures tiraillant cette famille -sa famille- mais sans réellement trop insister ni juger. Elle nous invite dans sa quête personnelle avec une certaine douceur mais ouvrant sur des failles profondes.
Quelque part on sent l'influence de la nouvelle vague Taïwanaise dans la mise en scène de cette histoire, et ce n'est pas forcément un hasard car 吳念真 [Wu Nienjen] le scénariste travaillant au côté d'Ann Hui pour ce film est aussi connu entre autres pour avoir scénarisé les deux grandes fresques Taïwanaises que sont 海灘的一天 [That Day On The Beach] de 楊德昌 [Edward Yang] et 悲情城市 [La Cité des Douleurs] de 侯孝賢 [Hou Hsiaohsien] où les questions familiales sont centrales.


Cette manière dont Ann Hui raconte sa "petite histoire" me touche d'autant plus car elle s'en sert avec force et justesse pour ouvrir une fenêtre sur "la grande histoire", par le prisme d'une thématique très présente dans le cinéma Hongkongais, qui moi me passionne et me pousse à lire beaucoup sur le sujet et les différentes manières dont il a pu être exprimé au cinéma : Il s'agit de la complexité, des influences, des troubles, identitaires inhérents à la ville de Hong-Kong, que l'on retrouve aussi au sein de sa ville voisine Macao dans une moindre mesure.
C'est une thématique forte qui revient d'ailleurs de temps en temps dans le cinéma d'Ann Hui (cette thématique est notamment aussi très bien traité dans 胡越的故事 [Story Of Woo Viet]) toutefois Le Chant de l'Exil en est, de ce que j'ai vu en tout cas, une des plus belles expressions que le cinéma ait connu.


En effet par le biais de cette famille -sa famille- elle nous fait pénétrer au carrefour de nombreuses d'influences qui forment l'identité si complexe de Hong-Kong et dans une moindre mesure de Macao.
Évidemment il y a l'influence Chinoise avec les différentes vagues d'immigrations lié aux différents chocs de la fin du XIXè et du XXè siècle en Chine qui ont peuplé ces villes, mais également fait de Hong-Kong une place de cinéma, incarné par le personnage du père de Hueyin qui a préféré quitter la Chine Continentale pour Macao puis Hong-Kong. A l'inverse il y a aussi une certaine attraction pour certains envers ce régime communiste si particulier, pour profiter d'un potentiel développement ou pour retrouver des racines trop longtemps laissées de côté, incarné par les personnages de grands parents paternels de Hueyin qui ne pourront s'empêcher de retourner en Chine Populaire alors même qu'elle est encore en plein tumulte Maoïste.
Il y a aussi évidemment l'influence occidentale liée d'abord à la colonisation mais aussi à une attirance pour la jeunesse de Hong-Kong et Macao envers des pays et un mode de vie rimant pour certains avec réussite et émancipation, incarné par Hueyin elle-même qui par rejet de certaines valeurs de sa famille va vouloir partir à l'étranger, en l’occurrence vers l'Angleterre, ce qui ne va faire que l'éloigner encore davantage de certains codes familiaux lui paraissant désormais ridicule.
Et il y a l'influence des pays assez proches voisin de Hong-Kong, en l'occurrence dans ce film le Japon avec les racines Japonaises du côté de la mère de Hueyin, avec en plus concernant ce pays précisément, le poids de la guerre agissant comme un trouble de plus vis à vis de ces racines.


Ces tensions identitaires s'expriment par plein de petits détails très justement intégrés à cette histoire. C'est notamment le cas de l'utilisation de la langue, quand certains de personnages se retrouvent plongés dans un milieu où ils sont incapables de communiquer correctement, essayant de faire ce qu'ils peuvent pour se faire comprendre. Cela peut être facteur de souffrance et d'isolation, comme dans le cas de la mère de Hueyin parlant difficilement Chinois à Macao, ou Hueyin elle-même qui durant quelques jour dans une petite ville Japonaise va expérimenter ce que le film va nous faire véritablement ressentir comme un handicap. Par ailleurs c'est aussi parfois utilisé pour la mise en valeur d'une personne, comme la mère de Hueyin qui au Japon raconte sa vie à Hong-Kong telle qu'elle aurait aimé la vivre pour se mettre en avant face à ses anciennes connaissance, sans que sa fille, seule témoin de cette vie, ne s'en rende simplement compte et ne puisse à fortiori y objecter quoi que ce soit.
Il y a aussi évidemment ce rapport au retour au pays, cette désillusion dans chaque cas tragique, entre le rêve d'un retour glorieux et la réalité plus conflictuelle. Cela pousse à l'objet du film, l'introspection, et cela rouvre des plaies (en plus ici parfois lié à la guerre mais aussi parfois lié à des choses moins grave mais qui pourtant sont aussi source de souffrances) qui ne tiennent parfois qu'à des détails du passé mais qui ne se referment pourtant pas si facilement.


A vrai dire j'aurais du mal à parler de ce film davantage, au delà de ces 2-3 évidences insérées dans ce texte un peu quelconque mais qu'il me tenait à cœur d'énoncer. Ce film c'est surtout une plongée intime bouleversante au sein d'une famille, à la fois par la justesse et la douceur avec laquelle cette intimité si personnelle est captée par Ann Hui et à la fois car c'est une métaphore particulièrement belle de la complexité, des tensions, des influences, identitaire nourrissant la nature de Hong-Kong, et Macao dans un moindre mesure.


PS : Ah et point essentiel, même si les autres actrices et acteurs ne déméritent pas, Maggie Cheung bouffe l'écran (et je ne le précise pas uniquement par amour mais dans l'objectivité la plus totale bien entendu), et rien que pour la force de son jeu le film mérite d'être vu. C'est une de ses plus grandes performances. Ai-je déjà dit que j'aimais cette actrice et que je trouvais sa carrière passionnante ?

Noe_G

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