Premier long-métrage de Pham Thiên Ân auréolé du prix de la Caméra d’or au dernier Festival de Cannes, l’Arbre aux papillons d’or s’inscrit dans le cinéma contemplatif où le jeune Thiên part à la recherche de son frère aîné après la mort de sa belle-sœur à Saigon. Le retour à la terre natale, ici au Viêtnam, se fait avec le temps et en prenant de la distance avec le passé. En utilisant le procédé du plan-séquence à de multiples reprises, le cinéaste suspend le temps d’un moment vécu avec un proche pour inscrire sa scène dans une réalité marquée. Le cheminement du personnage – sublimement incarné par Le Phong Vu – peut se poursuivre ensuite logiquement, avant la pause attendue par le spectateur, familiarisé à ce rythme. Cette conception lente de la narration joue d’un paradoxe mis en exergue dès l’introduction du film, où l’on prend place aux côtés du personnage en pleine nuit sans pouvoir observer précisément les circonstances de l’accident à moto. Les signaux d’alerte se dévoilent à distance de lui, dès le premier qui lui est porté à connaissance en retard comme le coup de téléphone en plein massage. Ainsi placé de son point de vue, il faudra être patient et s’ouvrir au monde extérieur, récupérer la foi.

Le protagoniste ne cultive pourtant pas la même sérénité que son neveu Dao âgé de cinq ans, bien au contraire, il devient superstitieux et pense voir des présages là où il n’y en a pas, plus. Les cadres composés par Thiên Ân se dévoilent doucement, cachant souvent un élément de perspective sur lequel l’attention peut être portée. Fascinants et déroutants à la fois, ils révèlent des surprises visuelles qui n’en sont pas en réalité, interagissant avec le personnage de manière spontanée. Par le biais d’un mouvement de caméra pendant un plan-séquence, c’est l’ordinaire qui intervient en s’immisçant dans la scène. La photographie de Dinh Duy Hung conforte cela, plus minimaliste et sobre avec un éclairage naturel dans la quête humaine, en comparaison de l’introduction en ville. Le contraste de couleurs est moins prononcé, et la musique originale n’intervient plus au-dessus de l’habillage sonore. La plupart des interactions avec les animaux restant imprévues au regard de leur comportement avec les acteurs, elles suivent cette démarche d’authenticité sur la terre originelle du personnage.

Dans l’optique de trouver son âme – son frère Tam (âme) – il s’abandonne moins à son corps et ses plaisirs, ici caractérisés par les relations entretenues avec autrui par le biais de la romance notamment, en se rattachant au fondamental. L’Arbre aux papillons d’or se détache ainsi d’une mécanique de récit prévisible : alors que les débuts dialogués entre amis laissaient entendre une routine toute faite pour Thiên, il est amené à redécouvrir une culture complexe, prenant place en des lieux différents, et des figures générationnelles. L’effet documentaire souhaité par le réalisateur, aidé par la mise en scène parfois statique, est en opposition formelle avec les scènes où le personnage souffre, n’observe plus et s’enferme dans son sommeil. À moto en plein orage ou chantant en club, le détournement du personnage vers ses passions l’amène à se questionner davantage sur ce qu’il ressent au quotidien.

L’espace-temps se referme plus il se rapproche de son âme, et les routes le ramènent à l’essentiel. Toutes ces rencontres faites lui ont permis de revenir au lieu saint, les animaux le guidant dans les contrées. La précision du mixage audio renvoie à cette idée d’universalité, prenant autant d’importance que les images filmées, qui n’est pas sans rappeler le cinéma de Bi Gan ou Apichatpong Weerasethakul. Le neveu va à l’école pour chanter avec les autres d’ailleurs, communiant dans un idéal collectif. Depuis l’hors-champ, les invitations du seigneur se succèdent sans qu’elles trouvent réponse, et cela passe également par la météo dans le film. Les orages, la pluie, traduisent ce que le personnage ressent intérieurement. Moins seul dans cette situation, il peut passer à l’étape suivante.

Ce suivi existentiel est très animé, mais le personnage demeure un fantôme sur la majorité du long-métrage, le passé et la complexité de l’espace figeant sa position auprès des autres et des lieux, n’ayant pas encore la mainmise dessus. Thiên Ân dit avoir été très impressionné par le travail de Bela Tarr, dans cette même volonté à chercher la représentation la plus juste de l’atmosphère entourant son personnage dans la déconstruction du paysage. S’il est parfois meurtri, complexifié, l’homme ne peut pas pour autant le changer d’une quelconque manière. Sur une balade à la guitare classique, il doit se décider à s’ouvrir de nouveau à l’autre, trouver l’harmonie avec la nature sans rejeter son passé comme ses ancêtres.

A retrouver ici : https://cestquoilecinema.fr/critique-larbre-aux-papillons-dor-un-grand-voyage-vers-la-vie/

William-Carlier
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le 20 sept. 2023

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