L’arbre aux papillons d’or est le premier long métrage de Pham Thien An, cinéaste vietnamien connu pour un court présenté à Cannes il y a quelques années. C’est un film réalisé de façon quasi artisanale à en croire les informations disponibles à son sujet, ce qui est assez sidérant compte tenu de l’impression de grande maitrise stylistique que dégage le film. Les plans-séquence sont très nombreux, les mouvements de caméra discrets (quand ils le sont moins ça donne des séquences formellement magnifiques comme lorsque Thien et celle qui fût son amante un jour se retrouvent dans un bâtiment en ruines). Le film s’ouvre sur une longue séquence citadine qui révèlera de façon littérale le sujet du film au cours d’une discussion entre trois amis, dont Thien, à savoir le vacillement de la foi face aux aléas de la vie et les drames qui y surgissent. 

Dans un style d’une lenteur envoûtante qui n’est pas sans rappeler Apichatpong Weerasethakul, Pham Thien An déploie un univers de rêverie, de souvenirs, de visions qui jalonnent l’épopée spirituelle de Thien, venu enterrer sa belle-sœur dans son village natal, perdu dans les montagnes embrumées. La restitution sensorielle de cet environnement est impressionnante, notamment sur le plan sonore : les chants des oiseaux, le bruit du vent, de l’eau forment un arrière-fond sonore qui se fait une place au premier plan et supplante parfois l’image au point qu’on serait tenté de fermer les yeux pour accompagner Thien dans sa quête. Face à cette attention portée aux éléments, symboles s’il en est du monde extérieur, on pense à des cinéastes comme Tarkovski (un plan montrant des plantes aquatiques balayées par le courant de l’eau pourrait bien être une référence à un plan très similaire dans Solaris ; l’enchevêtrement de souvenirs, de visions et leur dissolution dans la diégèse rappelle certaines séquences du Miroir) ou, dans une moindre mesure, Malick et ses films au panthéisme le plus prégnant.

Au début de son périple depuis Saigon, Thien, accompagné de son neveu et d’un homme qui conduit le véhicule transportant le cercueil de sa belle-sœur, s’arrête au bord d’une route. Un plan nous montre le paysage vallonné baigné dans la brume, de la musique classique, romantique, l’accompagne. Un raccord plus tard, on voit le véhicule arrêté derrière une barricade, la même musique sortant péniblement des enceintes. On peut citer également la séquence du voisin qui interrompt un moment d’évasion avec un oiseau recueilli. C’est aussi ça dont traite le film : la beauté, la grâce qui se nichent dans la Nécessité du monde, rendues inaccessibles par les contingences de la vie.

Cet Arbre aux papillons d’or est un film magnifique, aux images et aux sons qui marqueront durablement ceux que son rythme lent ne laisseront pas sur le carreau.

Gabagool
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le 8 juin 2023

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