Déjà à l’origine du très singulier « Hôtel Singapoura » (2016), après quelques autres, Eric Khoo n’est pas un nouveau venu dans le domaine de la réalisation. Lorsque, au prégénérique de ce nouvel opus, s’affiche le logo du Festival de Berlin « Kulinarisches Kino », on sait que le réalisateur retrouve la veine du « cinéma culinaire » qu’il a déjà exploitée dans deux précédents longs-métrages, « Wanton Mee » (2015) et « Mee Pok Man » (1995). Veine qui commence à courir d’un pays à l’autre, que ce soit à travers des œuvres de fiction ou des documentaires, mais irrigue particulièrement les pays asiatiques, de « Tampopo » (1985), de Jûzô Itami, au film de Naomi Kawase, « Les Délices de Tokyo » (2016), en passant par « L’Odeur de la papaye verte » (1993) de Trân Anh Hùng », « Salé sucré » (1994) de Ang Lee ou « Le Festin chinois » (1995) de Tsui Hark.
Le synopsis se présente comme aussi émouvant qu’intéressant : à la mort de son père (Tsuyoshi Ihara), Masato (Takumi Saito), jeune cuisinier japonais spécialiste de ramen, se rend chez son oncle, à Singapour, afin d’y retrouver la saveur des succulentes soupes que lui préparait sa mère (Jeanette Aw), depuis longtemps disparue.
Côté cuisines, le film tient ses promesses, héritées de l’œuvre culte de Gabriel Axel, « Le Festin de Babette » (1987). Le choix, puis la préparation des différents ingrédients, leur immersion dans des bassines bouillonnantes, enfin leur dégustation avec un air raffiné de goûteur de thé, tout ceci ouvre l’appétit et donne une furieuse envie de se ruer dans un restaurant asiatique dès la sortie du cinéma.
Mais le scénario, insuffisamment accommodé, manque de saveur... Dans la première partie du film, les situations sont à plusieurs reprises exposées, à travers des dialogues, avec une maladresse que l’on ne pardonnerait qu’à un débutant. La suite se veut certes éminemment émouvante, mais les situations sont forcées : retrouvailles lacrymales, reconversion d’une grand-mère revêche par l’entremise d’une soupe miraculeuse, happy-end aussi prévisible que le dessert à la fin d’un repas...
On a d’autant plus de regret que les intentions sont louables et que le personnage principal parvient par moments à rendre le film supportable, grâce à l’interprétation aussi sensible que naturelle livrée par Takumi Saito. Sans doute, avec quelques grains du poivre de la folie, avec les épices du bizarre - « L’Ange du bizarre » si cher à Poe - le film eût-il été plus relevé...