Au commencement, il y avait le professeur, puis l’élève, et enfin l'administration et les parents d'élèves. Un jour, naquit "La salle des profs", une création cinématographique signée Ilker Catak. Ce film se déroule entièrement en milieu scolaire, dans un huis clos, ce qui est assez original. L'intrigue démarre "in media res", c’est-à-dire qu’on est plongé immédiatement dans l'action. On est entraînés dans une enquête menée par une enseignante du nom de Carla, interprétée par Leonie Benesch, qui s’improvise détective dans son collège allemand. Sous certains aspects, cet établissement ne diffère guère de ceux que l'on trouve en France, hormis la conception de la laïcité, l'absence d'activités périscolaires ou de lieux associatifs pour les élèves. Déjà, je trouve cela assez agréable de proposer un film dans ce cadre, en choisissant le genre du thriller pour pouvoir aborder le fonctionnement du système scolaire allemand. Cela dit, si on fait abstraction du pays, les problématiques s’appliquent à celles que l'on peut rencontrer dans les écoles de notre beau pays, la France.


L’intrigue se déploie dans un contexte où les vols sont une réalité quotidienne. On est déjà dans un système éducatif défaillant, qui tente vainement de résoudre des problématiques contemporaines sans véritablement savoir comment s'y prendre. On a cette impression d’observer un système mourant, mais ne l’est-il pas déjà ? En tant que personnage central, Carla Nowak, professeur de mathématiques et d'éducation physique, un mélange un peu étrange mais bon, exerce dans ce qui est l'équivalent de notre 6e. Elle va mener une enquête sur les vols, mais elle se trouve rapidement dépassée par sa découverte, car elle est entraînée dans un enchaînement de conséquences qui vont affecter son équilibre psychologique. Voilà un peu pour l’intrigue. Elle incarne l'enseignante "parfaite" dans le sens de la droiture morale, elle est honnête, elle fait appel à la logique et aux méthodes pédagogiques. Puis, elle est bienveillante et finalement assez idéaliste, mais un peu rigide dans ses principes, ce qui la rend peu aimable, froide, austère au point d'être finalement presque antipathique, ce qui explique qu'elle reste un peu à l'écart de ses collègues, qui possèdent tous un trait de caractère négatif, allant de l'hypocrisie à la lâcheté en passant par la rudesse. Derrière cette façade, Carla dissimule avant tout de la vulnérabilité, dans un environnement où cette fragilité est un handicap. Ce qui est vraiment bien montré à l’écran est l’aspect pédagogique, puis l’enseignement et la vie de classe, cela donne un côté très réaliste au film, même chose avec les rapports entre les professeurs, même si par moments j’ai trouvé les échanges un peu faciles et grossiers. Un exemple de réalisme ; le claquement de mains synchronisé pour obtenir le silence, c’est une technique de pédagogue qui attire l’attention de la classe, cela permet de créer des rites. Carla incarne ces jeunes professeurs inexpérimentés et livrés à eux-mêmes, bien qu'elle sache tout de même asseoir son autorité.


Comme l’histoire s'ouvre sur un vol, la première réaction de l'administration est de soupçonner les élèves. C'est un schéma assez classique, les élèves deviennent les boucs émissaires parce qu’ils sont une cible facile. C'est vraiment délicat d'accuser un collègue, car ce sont aussi des soutiens. Personne n'a envie de travailler dans un climat détérioré, et surtout, personne ne veut se retrouver isolé. C’est là où le film est plutôt bon, il nous propose le type des questionnements que se pose un professeur. Dès le départ, une scène met en lumière la pression et la manipulation exercées pour obtenir l’accord des délégués de classe, pour permettre à l'équipe de fouiller les élèves. Cette situation en elle-même manque un peu de crédibilité, car l'équipe pédagogique et la direction n'agiraient jamais de cette manière. On ne peut pas fouiller les élèves, mais le réalisateur utilise cette situation, pas la plus subtile néanmoins, pour souligner que l'école est une microsociété dont il arrive qu’elle prenne des libertés avec la loi pour résoudre des problèmes, car en face les élèves sont dociles et n’ont pas les moyens de résister à l’autorité des professeurs. Tout ce système d’intimidation se fait de manière très douce et c’est bien présenté même si ça peut frôler par moment l'exagération. À partir de cet acte de vol, qui est grave en soi, on a un emballement d’événements qui permettent au réalisateur d’élargir son sujet. Le film explore les moyens et les méthodes par lesquels notre société gère les conflits dans le système éducatif national, tout en proposant une réflexion sur les rapports de domination et d'autorité. La morale que propose le réalisateur est un peu simpliste : il suggère que l'élève prend le contrôle, alors que dans la réalité, ce n'est pas vraiment le cas, c’est une dynamique. Le problème se situe moins dans la qualité des enseignants ou dans la gestion de classe que dans l'éducation transmise par les parents. Il est là le véritable enjeu, et le film ne soulève pas la question des familles monoparentales et des familles issues d'autres cultures. Le principal problème dans l'éducation nationale reste celui des familles monoparentales avec des parents qui ont démissionné de leur rôle. Les enseignants ne peuvent se substituer aux parents.


Pour revenir au film, car j'ai un peu digressé, on ressent bien la tension et la perte de contrôle de l’enseignante qui devient rapidement une cible et qui manque complètement de soutien de la part de ses collègues ou de l’administration. Malheureusement, ces situations arrivent, comme on a pu le voir avec le pauvre Samuel Paty. J'ai particulièrement apprécié la façon dont chaque individu tente de s'approprier un peu de pouvoir en s'attaquant à Carla, qui est placée ainsi dans une situation d’infériorité où elle doit justifier et régler des situations qui ne devraient pas être de son ressort. Dans le film, il est évident qu'elle peine à résister à cette tension grandissante et qu'elle perd le contrôle. C’est très réaliste, surtout en France où le manque d'enseignants devient de plus en plus préoccupant, avec des professeurs qui prennent des congés après des conflits avec un ou plusieurs élèves problématiques. On assiste au défi croissant de l’autorité des enseignants, avec des professeurs qui n'ont pas toujours les épaules pour résister et qui ne bénéficient pas d'une formation adéquate.


Dans l'ensemble, j’ai beaucoup apprécié ce film, justement pour sa représentation réaliste de la vie d'un enseignant et des relations qu'il entretient avec l’équipe et l’administration. Cela dit, je dois mettre quelques réserves concernant la manière dont il est filmé. Le réalisateur semble parfois privilégier les effets de style pour faire joli. Puis, l'intrigue du début du film semble un peu simpliste, même remarque avec la surdramatisation des problèmes mais j’admets qu’un simple regard porté sur un élève peut être interprété comme du harcèlement par les parents, et prendre des proportions énormes. Le choix du réalisateur de faire de Carla une victime sacrificielle, une figure de vertu attaquée par tous, peut sembler quelque peu ménichéen. Malgré cela, le film présente un type de professeur qui aspire bien faire.

Naldra
6
Écrit par

Créée

le 8 mars 2024

Critique lue 25 fois

Naldra

Écrit par

Critique lue 25 fois

D'autres avis sur La Salle des profs

La Salle des profs
Yoshii
7

Claustrophobie scolaire

Par opposition à la douceur du regard lumineux de Leonie Benesch, "La salle des profs" diffuse le sentiment d'une œuvre un peu âpre, assez difficile à apprécier. Empruntant le chemin du (demi) polar...

le 4 mars 2024

32 j'aime

3

La Salle des profs
Sergent_Pepper
7

Tableau d’une accusation

Il est toujours plaisant de voir un film allemand se frayer un chemin jusqu’à nos salles, signe d’un succès outre-Rhin assez rare. La salle des profs, en écho aux tensions communes vécues par la...

le 7 mars 2024

26 j'aime

La Salle des profs
AnneSchneider
8

L’éducation confrontée à ses propres contradictions

La façon dont une société éduque ses enfants en dit long sur elle-même et Platon l’avait déjà parfaitement compris, qui déclarait : « Lorsque les maîtres tremblent devant leurs élèves et...

le 3 mars 2024

22 j'aime

18

Du même critique

The Marvels
Naldra
1

Miss Marcel au Darty du coin

À qui s'adresse ce film ? Je pose la question parce que je ne vois pas vraiment quel public pourrait aller le voir. C'est tout simplement le pire Marvel. En tout cas, je ne fais pas partie de la...

le 11 nov. 2023

4 j'aime

1

Les Feuilles mortes
Naldra
8

C'est simple, c'est beau

Appréciant Aki Kaurismaki après avoir visionné plusieurs de ses films, celui-ci s'inscrit dans une trilogie informelle consacrée au monde ouvrier, comprenant "Ombres au paradis," "Ariel," et "La...

le 22 sept. 2023

4 j'aime

Pauvres Créatures
Naldra
3

Candide chez les mascus

Alors, tout ça pour ça ? Je pense que ma critique va être rapide parce que ce film ne m'a pas plu, et je risque de l'oublier rapidement. Je n’avais pas d'attentes particulières, je n’ai pas lu le...

le 18 janv. 2024

3 j'aime

2