Cela fait plus de 6 ans depuis Une Nouvelle chance que Clint Eastwood, cinéaste et acteur avec plus de 60 ans d’activité, n’était pas revenu devant la caméra de l’un de ses propres films. Et pourtant, ce sont avec les films ou il incarne le personnage principal qu’on a découvert et été séduit par ses œuvres les plus matures et majeures comme le cultissime Million Dollar Baby, le brave et pince sans rire Gran Torino ou encore et surtout ce qui restera à mes yeux l’apogée de sa carrière : Sur la route de Madison et son histoire d’amour inévitablement impossible.


Et après sa trilogie sur l’héroïsme américain composé d’American Sniper, Sully et Le 15h17 pour Paris (inégal mais pas inintéressant pour autant), je pense que beaucoup d’entre nous étaient curieux de voir cette grande figure iconique renfile, surtout qu’au bout de 47 ans de métier en tant que réalisateur on ne sait jamais quel sera son dernier film à ce vieux bougre.


D’autant qu’il est très touchant ici de voir ce vieil icône du western et cette montagne de prestance et de classe du haut de ses 88 balais : pas en grand vieillard ronchon raciste et à la réplique dure mais implacable comme dans un Gran Torino ni comme un entraîneur de boxe renfermé sur lui-même ou un photographe de passage vivant un amour aussi inoubliable qu’éphémère. Simplement comme un vieil homme consacré à son métier mais détaché de ses proches au nom de sa renommé, au point de négliger toute réunion familiale et sur qui on voit le poids de l’âge peser autant envers le personnage que l’acteur qui l’incarne.


L’âme même de cette biopic sous forme de comédie dramatique est là, dans la peau, le squelette, ses mouvements, le visage fatigué de cet homme continuant pourtant à jouir de sa vie en faisant la mule tout en tentant de recoller du mieux qu’il peut les morceaux avec le passé (sa liaison rompue avec Mary, sa petite-fille défendant candidement son grand-père envers et contre-tout, sa fille à la rancune tenace).


De même pour la manière avec laquelle La Mule reste fidèle aux codes de réalisation du cinéma Eastwoodien avec son habituel classicisme mais toujours modernisé pour coller à notre réalité (quasiment aucun effet de style, pas de fioriture superficiel pour capter l’intention mais une façon de filmer jamais statique et distancié de ses personnages). Une réalité qui contraste très souvent, dans le cinéma du grand Clint, avec la mélancolie dans laquelle ses personnages se noient ou sont simplement envahis, les regrets qu’ils ne peuvent fuir comme si un spectre intérieur les rongeaient miette par miette. Un point moins appuyé ici que dans des films précédents tel que Million Dollar Baby, Impitoyable ou encore Mystic River mais cette démarche trouve un sens dans le zèle habituel d’Earl Stone à continuer de préserver les apparences dans sa vie professionnel par son naturel qui lui confère un charme indéniable et l’engagement dont il fait preuve que ça soit comme horticulteur ou comme mule.


Par ailleurs cette démarche humaine du cinéaste se retrouve également dans la caractérisation des membres du Cartel, loin d’être montré sous un visage unidimensionnel et comme une entité dure et sans aucune once de pitié. En voir certains échanger de façon tout à fait naturel avec Earl Stone comme un bon copain, d’autres le traiter de façon radical et direct ou encore se montrer plus nuancé ou manipulable par leur milieu comme le membre joué par Ignacio Serrichio donne de la densité à l’ensemble.


Malgré tout, La Mule a aussi des aspects clairement moins réjouissants qui confirment le manque de liaison et de ténacité de l’ensemble sur la durée, et aussi un manque très net de profondeur qui fait la semence des grands jours de Clint Eastwood. Tout ce qui touche à l’enquête de la DEA prend du temps pour aboutir bien tard… trop tard même à une rencontre fortuite entre Earl Stone et l’agent Bates joué par Bradley Cooper tant toute la partie touchant au démantèlement à petit feu du cartel est vaine et peu entraînante. Car on n’apprend quasiment rien sur la vie intime de l’agent de la DEA sauf lorsque l’unique dialogue entre les deux hommes intervient et ça reste trop maigre pour immerger émotionnellement le public.


Autre aspect plus gênant de La Mule, c’est la manière avec laquelle la famille d’Earl est reléguée au second plan durant tout le deuxième tiers au profit de la vie de coursier pour le cartel d’Earl. Si cela permet de faire un constat sur le vieux monsieur entre la jeune génération parfois teintée du bon humour sarcastique du vieil homme (le téléphone portable, l’hermétisme à Internet, les remarques moqueuses faites dans des situations initialement tendues, la tentative passagère de raisonner un jeune homme de main du Cartel en fin de soirée mais dont les origines sont trop différent pour que le dialogue aboutisse à quelque chose), la fratrie de Stone ne bénéficie d’aucun approfondissement valorisant.


Que ça soit par le point de vue des enfants en tant que spectateur comme du côté de Sur la route de Madison ou Honkytonk Man, pas même celle de son épouse alors qu’elle est la première concernée et à lui faire ouvertement les reproches de ses absences continuels et de ses négligences familiales.


D’ailleurs j’en suis venu à me poser la question sur ce film : qu’est-ce que La Mule au final ? Un biopic dans lequel Eastwood s’est projeté dans la peau du principal intéressé et qui fait écho à une partie de sa vie sous forme de métaphore (choix qui s’expliquerait par le cast de sa fille Alison Eastwood) ? Un drame dans lequel un homme vieillissant se prête à une activité illégale, un peu à la façon d’un Walter White dans Breaking Bad afin de renouer avec le succès sociale de son précédent métier ? Ou tout simplement un film mineur dans la carrière d’un auteur et acteur dont les succès et grands films qu’il a tourné et/ou dans lesquels il a joué ne se comptent plus ? Peut être que je me pose trop de question, mais à force de voir le grand Clint devant la caméra de ses films, il devient souvent désireux de vouloir trouver comment interpréter ses films, comme on peut le faire avec son Impitoyable.


Surement suis-je généreux avec la note que je lui attribue car j’ai des réserves non négligeable. Mais La Mule n’en reste pas moins à mes yeux un film humain comme tant d’autres de Clint Eastwood avec ses faiblesses comme ses forces, qui ne cesse de me faire dire que le jour ou ce vieil homme nous quittera, ça sera un grand nom du cinéma du siècle dernier et du début de celui-ci qui s’éteindra.

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8

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