Pour moi, Alejandro Jodorowsky est passé de parfait inconnu à artiste de génie en moins d'un an. J'ai d'abord découvert son oeuvre grâce à ce film, puis je me suis intéressé à certains de ses travaux en tant que scénariste et conteur d'histoires dans de nombreuses bandes dessinées.

J'ai pas mal hésité à parler de La Montagne Sacrée, de peur de ne pas avoir vraiment compris ce long-métrage. Mais après l'avoir revu, ma vision de l'oeuvre à changée, et je suis fin prêt pour vous relater mon expérience audiovisuelle.


La Montagne Sacrée, ou La montaña sagrada dans son titre original est un film américano-chilien sorti en 1973 et librement inspiré du roman inachevé de René Daumal, Le Mont Analogue.

On nous présente un vagabond ressemblant au Christ, qui erre dans les rues d'une grande ville. Il finit par arrivé au pied d'une grande tour rouge et l'escalade. Là, il va rencontrer un alchimiste qui va lui proposer de devenir immortel. Accompagnés d'autres personnages qui quittent toutes leurs possessions, ils partent conquérir la Montagne Sacrée sur l'Île du Lotus.

Voilà donc la trame dans ses grandes lignes, mais elle est en faite bien plus complexe et fantastique que cela.


Bon, par où commencer ? Il y a tant de choses à dire que je ne sais même pas quoi aborder en premier !

Commençons par le plus frappant, le film est une orgie visuelle constante. Un maelstrom de couleurs, de lieux, de détails farfelus et de mises en scènes qui semblent venir d'un rêve fou. Si le film est connu, c'est surtout pour cette avalanche d'éléments qui défilent devant nos yeux, et croyez-moi, il y a vraiment Tout ce que vous pouvez imaginer, même plus. Voici donc une liste d'éléments figurants dans le film qui rappelleront des souvenirs à ceux qui l'ont vus et qui fascineront ceux qui ne l'ont pas encore vu. Ahem ahem :

Des cadavres d'animaux, de la nudité, de la prostitution infantile, un énoooorme sexe masculin fait de glace, une reconstitution historique amérindienne à base de grenouilles et d'iguanes, des excréments humains, un trône fait de chèvres empaillées, des testicules dans des bocaux, BEAUCOUP d'animaux, des chevaux dans des trous, un abre à poule, des statues de cire qui brûlent, et encore tout un tas de choses qu'une vie entière ne servirait pas à énumérer.

Et tous ces éléments ont une véritable force plastique qui choque le spectateur dès les premières minutes. Que ce se soit le dégoût ou l'émerveillement, on ne peut pas rester insensible aux images filmées par Jodorowsky. Certaines scènes sont sources de cauchemars mais d'autres sont asboluments fabuleuses (je pense notamment au générique d'ouverture ou aux scènes du rite de passage).


Et ce qui rend ce kaleidoscope encore plus puissant, c'est la mise en scène. Jodorowsky filme le monde de diverses manières, parfois comme dans un film de fantasy épique, parfois comme dans un récit plus sobre et intime. Mais c'est toujours dans cette ambiance mystique et irréelle propre à la poésie de l'auteur.

Et que serait une bonne oeuvre surréaliste sans une bande-son digne de ce nom ? Et bien ça tombe bien parce que notre cher Alejandro a aussi composé la musique, accompagné du trompettiste Don Cherry. Et comme pour les images, on a de tout, une discothèque entière mise dans un seul film : jazz, folk, hard rock, musique expérimentale transcendantale, un vrai festin. En plus les compositions sont d'une grande qualité !


Ce que j'avais repproché au film lors de mon premier visionnage, c'était la narration. Brouillonne et mal rythmée. Maintenant, je ne la trouve pas parfaite, mais elle a quand même sa force.

Une grande partie du métrage est une scène nous présentant les sept voleurs accompagnant l'alchimiste et le sosie de Jésus. Cette séquence est longue, et lorsqu'elle s'achève on est presque sorti du film. Et tout ça pour quoi ? Ces septs personnages finissent de toute façon par perdre leurs caractéristiques.

Et bien justement, là est tout l'intérêt. On nous présente d'abord sept hommes et femmes issuent des milieux de l'entreprise et de la politique. Ils incarnent les maux de l'humanité, la luxure, la débauche, et la haine des autres au profit de la gloire. Mais ils finissent par changer de voie en brûlant leur argent, partiçipant à un rite de passage qui leur fait perdre leur individualité afin d'être une seule et uniqué entité, un conseil de sages désireux de l'immortalité.

Une fois de plus, Jodorowsky prouve sa créativité et sa poésie. Il rend l'impérialisme encore plus monstrueux pour faire triompher l'amour et la vie.


Tant qu'on parle de l'auteur, on peut aussi parler de son alter-ego dans le film : l'alchimiste. En plus d'avoir un super costume, il est un personnage très intéressant symboliquement parlant. Il est le leader des huit voleurs, leur guide. Il connaît les voies de l'esprit et est capable de changer du caca en pépite d'or. On pourrait penser que Jodorowsky créer une espèce de culte de autour de sa personnalité, mais cela se retrouve démonté par la fin aussi déroutante que brillante.


Ce film est une vaste galerie de symboles. On y trouve des références à l'ésotérisme (le tarot et les pratiques druidiques), à la religion chrétienne ou encore à l'histoire du Chili et à l'Amérique du Sud. À cela s'ajoutent les critiques et satires de notre monde : régimes totalitaires, religions corrompues, course à l'argent, embrigadement des enfants, et j'en passe.

Et quand je dis que c'est une galerie de symboles, ce n'est pas éxagéré. Même après avoir vu le film deux fois et revu certaines séquences pour le plaisir, je n'ai pas pu interpréter tous les trucs fascinants que j'ai vu en presque deux heures de cinéma.


Mais à vrai dire, peut-on vraiment comprendre La Montagne Sacrée ? Le veut-on vraiment ? Certes, c'est toujours intéressant de comprendre une oeuvre selon le point de vue de son auteur, mais parfois c'est aussi bien de laisser planer le mystère. Après tout, cela fait aussi partie de la magie du cinéma et de l'imaginaire, de ne pas toujours tout comprendre, et de garder la force picturale de ce que l'on nous montre pour le simple plaisir de nous émerveiller.



Arthur-Dunwich
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le 4 mars 2023

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