Bien avant que Sylvester Stallone n'en fasse un remake d'une pauvreté affligeante, Get Carter fut, et reste encore, une œuvre culte du cinéma britannique. À le voir aujourd'hui, on comprend d'ailleurs très bien pourquoi ! Puissant, violent et sans concessions, ce film, à mi-chemin entre l'ambiance délétère d'un "Straw Dogs" et la dureté de "Point Blank", sonne le réveil brutal d'une Angleterre qui aimerait prolonger encore un peu le doux rêve des sixties. Pourtant en ce début des 70's, les années hippies semblent déjà loin, les Beatles ne sont déjà plus... et c'est un pays tout entier qui ressent les effets de la gueule de bois en contemplant la triste réalité du quotidien : précarité sociale, chômage, violence, etc. Carter, à l'instar d'un Dirty Harry sorti à la même époque aux States, va venir réveiller la conscience collective à grands coups de claques dans la poire ! Il faut dire que ce n'est pas un tendre, le gars... Il est plutôt du genre direct et adepte de la manière forte ! Pour tout dire, c'est un salopard de la pire espèce qui tente de dissimuler sa vraie nature derrière ses manières distinguées, son costume trois-pièces et son regard bleu acier. Mais le type est comme mort à l’intérieur de lui ! C'est un être insensible, froid et hautain, qui n'hésite pas à faire jouir la femme de son patron au téléphone, tout en sirotant sa tasse de thé, ou à expédier, au boulevard des allongés, tous ceux qui se dressent sur son chemin. Un être d'une infime cruauté qui serait totalement antipathique s'il n'était incarné par un Michael Caine au mieux de sa forme. Le garçon est tellement charismatique qu'on est prêt à tout accepter et à le suivre jusqu'en enfer, sans broncher... Ou, tout du moins, jusque dans son antichambre, à Newcastle, dans le Nord-est de l'Angleterre !

On a bien compris, avant d'être un banal film de gangsters, "Get Carter" est surtout la photographie d'un pays, d'une époque... Pour bien nous faire comprendre la réalité sociale qui sévissait alors en Grande Bretagne, il nous propose une incroyable plongée au cœur de l'Angleterre populaire, celle de ce Nord industriel où le quotidien de ses habitants ne ressemble en rien à celui de ces Londoniens qui semblent habiter un autre monde. Il n'est donc pas étonnant que les deux premiers tiers du métrage se déroulent à un rythme suffisamment lent pour favoriser l'immersion du spectateur. Ainsi, avant une dernière partie entièrement consacrée à la vengeance de Carter, et qui comportera son lot de scènes d'action, la première partie, elle, se déroule sur un faux rythme pour que l'on ait le temps d'observer l'état de décrépitude du pays et pour que l'on puisse humer l'odeur fétide qui se dégage dans l'atmosphère. Tout d'abord on quitte la City, et son univers superficiel, par le train pour s'enfoncer lentement dans les entrailles de la bête. Hodges adopte alors le style documentaire, avec caméra à l'épaule, pour un réalisme remarquable. Avec Carter, on arrive enfin à Newcastle et là, c'est la ville industrielle britannique dans toute sa splendeur qui nous accueille : que ce soit les maisons ouvrières parfaitement alignées, ces immenses cheminées qui crachent leur fumée dans un ciel éternellement grisâtre ou encore ces fameux pubs où viennent s'entasser des habitants aux mines déconfites ; c'est tout un univers qui nous rappelle continuellement la gravité de la réalité sociale.

Au fur et à mesure que Carter mène son enquête, on découvre une réalité encore bien plus sordide. Derrière les clichés de la ville industrielle, on commence à entrevoir un univers terriblement glaçant, fait d'une violence qui se banalise, d'une voyoucratie qui prospère et d'une pornographie qui se développe "en amateur", tournant rapidement au détournement de mineur. Si le constat fait par Hodges est saisissant, on reste néanmoins sur sa faim : au lieu d'approfondir un peu les choses, notre homme va se contenter de nous faire comprendre que les huiles locales se servaient des filles du peuple pour assouvir leur perversion. On aurait aimé que le film développe davantage l'étude de mœurs au lieu de simplement survoler le sujet. C'est bien dommage car, à la sortie du film, on a l'impression que tout le potentiel de l'histoire n'a pas été exploitée ! Heureusement, la dernière partie, où Carter va enfin concrétiser sa vengeance, est très réussie. Les scènes sont d'une intensité et d'une brutalité rares ; et on appréciera notamment le changement d'attitude de Carter qui délaisse ses allures distinguées de tueur de la City pour redevenir un bad guy du nord, un gars qui n'hésite pas à brutaliser ses adversaires à coup de crosse ou à les envoyer s'exploser la truffe en les balançant du haut d'un immeuble. C'est homme aux méthodes radicales, mais il fallait bien ça pour réveiller une population bien trop léthargique ! Bien sûr, l'action de Carter à ses limites et de cela personne n'est dupe, comme en témoigne ce final, sur cette plage aux allures de fin du monde, et qui clôture le film avec une ironie mordante, qui vient donner tout son sens au titre français.

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le 8 août 2023

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Procol Harum

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