Le lyrisme soviétique de Kalatozov a déjà fait ses preuves en temps de guerre avec Quand passent les cigognes, deux ans plus tôt, lorsqu’on l’investit d’une nouvelle illustration de la grandeur de sa patrie. Dans La lettre inachevée, il s’agit de glorifier l’action des pionniers partis dans une Taiga hostile pour prospecter la terre en vue de mettre au jour des mines de diamants.
Dans le sublime noir et blanc qui le caractérise, d’une brillance hors-pair, la photographie commence par évoquer une nature grandiose et idyllique, génératrice d’un respect poétique comme le fera le même décor dans le splendide Dersou Ouzala de Kurosawa. L’histoire d’amour d’un couple dans l’équipe (occasionnant des errances parmi les troncs qui évoquent ce puissant lien du cinéma russe à la nature, qu’on songe aux bouleaux dans L’Enfance d’Ivan ou du rare moment d’accalmie sylvestre dans Requiem pour un massacre), associée à celle épistolaire d’un troisième membre achève la tonalité romantique d’âmes en fusion avec le paysage. Une série de fondus enchaînes et de surimpression qui ne craignent pas l’emphase ne cessent de donner à voir l’osmose entre les éléments, air, terre, eau et feu, d’abord admirés pour leur beautés, puis craints pour leur puissance ravageuse.
Car La lettre inachevée a bien entendu pour sujet principal le travail : les scientifiques cherchent vaillamment des traces du diamant convoités, convaincus que leur théories se vérifieront, - et par là le génie soviétique, alliant ingénierie et volontarisme physique. La peine du labeur, les contre plongées sur les corps en sueur, la rythmique des coups de pioche annoncent ce qui deviendra un véritable chant dans Soy Cuba : le lien entre l’homme et cette terre qui lui résiste avant de livrer ses richesses.
A la victoire première récompensant l’acharnement et l’endurance succède une nouvelle épreuve : celle de la fragilité de l’homme face à l’hostilité de la nature. Le film, dans sa dernière partie, bifurque vers le survival, oscillant entre le réalisme mutique du Dernier convoi et les prétentions esthétisantes de son remake, The Revenant : incendie, neige, rivière glacée, il s’agit ici de s’extraire d’un environnement inhospitalier pour rejoindre le monde industrieux, lui indiquer les gisements pour fonder une nouvelle ville. La dimension sacrificielle du rescapé, entièrement rivé à cette carte, symbole de la conquête d’un nouveau territoire, sied parfaitement à l’éloge de la grandeur soviétique, sans pour autant dénuer le film de son lyrisme élégiaque.
Puissant, excessif, toujours aussi impressionnant par sa force visuelle, La lettre inachevée est certes inféodé à un discours idéologique marqué ; mais il permet, comme dans les autres films de Kalatozov, de saisir ces éléments plus grands que l’individu, qui l’émeuvent et peuvent aussi le dévorer : la beauté de la nature, et l’ampleur du regard pour l’honorer.