La comédie du génial Ernst Lubitsch est une pure merveille qui brille par l’intelligence de son scénario, le brio de ses dialogues, l’excellence de ses comédiens et l’immense élégance de sa mise en scène. Tourné en 1938, ‘La huitième femme de Barbe-Bleue’ est l’exemple même de la comédie loufoque hollywoodienne de ces années-là, versant avec une classe infinie dans l’immoralité.
Nicole de Loiselle, jeune aristocrate française, et Michael Brandon, millionnaire sept fois divorcé, forment le duo infernal de cette comédie loufoque. Cédant à la pression familiale, elle accepte de l'épouser, avant de tout faire pour obtenir un divorce et, enfin, de se raviser à nouveau. Les deux personnages sont sans cesse placés dans des situations cocasses.
Ernst Lubitsch et ses deux scénaristes Billy Wilder et Charles Brackett propose une variation originale du conte. L’homme n’est plus le monstre de l’histoire originelle et n’a de pouvoir que les privilèges son rang et sa fortune lui offrent. La femme n’est plus la victime du conte mais plutôt celle qui mène son mari à la baguette. En fait, l’histoire a été remodelée à la sauce hollywoodienne de cette époque, dont les comédies opposaient l’homme tranquille à la femme fantasque. ‘La huitième femme de Barbe-Bleue’ relève de la pure guerre des sexes, dans laquelle l’homme souhaite imposer son joug et la femme s’amuse avec habilité des contraintes qui lui sont imposées.
Le scénario du film me semble être un modèle du genre. On pense souvent que les grandes scènes ont pour origine un scénario complexe. Parfois à tort, comme en témoigne le film de Lubitsch et son ouverture brillantissime autour d’un haut et d’un bas de pyjama. Les excellents dialogues respirent aussi la simplicité. Peu de jeux de mots sophistiqués, mais plutôt des répliques autour de la Tchécoslovaquie.
Le grand charme du film est sa capacité de se vautrer avec grâce dans l’immoralité. Je n’écris pas cette phrase par goût de l’oxymore mais elle rend vraiment compte du contraste entre la forme très élégante et le fond qui se moque clairement de la morale. Il est davantage question d’argent que de sentiments au mariage. On manigance pour se séparer de son mari ou on mange des oignons juste avant un baiser. L’institution du mariage sort largement écornée de ce film, tant le couple ne semble être uniquement capable des vacheries les plus mesquines.
Visuellement, le film est très beau. Les mouvements de caméras sont élégants et amples. La caméra se meut avec aisance dans les couloirs de l’appartement. La mise en scène met parfaitement en valeur les scènes. Je ne voudrais citer qu’une seule scène, ma préférée. Celle où Gary Cooper corrige sans succès sa femme, avec la lecture de « La mégère apprivoisée » de Shakespeare.
Les interprétations relèvent du pur bonheur pour le spectateur. On sent que les acteurs se sont beaucoup amusés et ça transparaît à l’image. Gary Cooper joue parfaitement l’homme faussement dur mais un peu terne. Mais c’est surtout Claudette Colbert qui a injustement été moins retenue par l’histoire du cinéma que ces contemporaines Katharine Hepburn ou Bette Davis. Son jeu est remarquable et n’a pas tellement vieilli. Surtout son phrasé au débit de mitraillette fait merveille. N’oublions pas dans un second rôle, un David Niven à ses presque débuts victime collatérale de l’affrontement Colbert-Cooper et qui achève de rendre cette comédie inoubliable.