Le titre ne laisse aucun doute sur la situation de base. La charmante Nicole de Loiselle (une française, jouée par la française d’origine Claudette Colbert) devient l’épouse d’un don Juan en la personne de Michael Brandon (Gary Cooper dans un de ses meilleurs rôles). Sauf que Nicole ne réalise qu’au moment de la photo de mariage que son futur a déjà été marié pas moins de 7 fois. Oh, il est divorcé en bonne et due forme. Il précise que l’une de ses femmes est décédée, de mort naturelle ajoute-t-il. Mais allez savoir ce qui se passe dans la tête d’une femme qui épouse un homme qu’elle a longtemps pris de haut alors qu’il la domine d’une bonne tête ? En homme d’affaires avisé, Michael le banquier lui propose un contrat de mariage avantageux. Alors, Nicole fait monter les enchères et accepte ce mariage avec l’assurance de toucher le double de ce que Michael lui proposait en cas de divorce. Marché conclu, à la grande satisfaction du père de Nicole (Edward Everett Horton excellent) qui, tout marquis qu’il soit, est plutôt à court d’argent. En fait, il avait proposé une affaire à Michael… qui l’a dédaignée. Par le jeu des circonstances (très important chez Lubitsch), Michael a néanmoins appris que le marquis est en possession d’une baignoire historique. Pour s’approcher de la belle Nicole, Michael a acheté ce meuble horriblement kitsch. S’en est suivi un étrange ballet dans l’hôtel de luxe abritant tout ce joli monde (nous sommes sur la Côte d’Azur), où ce sont les valets de chambre qui « trinquent » en devant déménager l’objet en question de chambre en chambre, au gré des échanges de courtoisie. Leurs mines et leurs commentaires suffisent à faire comprendre la situation aux uns et autres, notamment au spectateur bien-sûr. Ceci illustre le commentaire admiratif de Truffaut « Dans le gruyère Lubitsch, chaque trou est génial ». Les spécialistes parlent de la « Lubitsch’s touch ». Cette manière de faire, Lubitsch la tient probablement de son expérience du muet où les situations devaient être compréhensibles, alors qu’en guise de dialogue il devait se contenter d’intertitres. Lubitsch a ainsi l’art, non de rendre le spectateur intelligent, mais d’établir une connivence amusée avec lui, en lui faisant comprendre pas mal de choses à l’aide de sous-entendus, d’ellipses, etc. On peut ajouter que le scénario est une collaboration entre Charles Bracket et ...un certain Billy Wilder !

L’ouverture du film est la rencontre entre Nicole et Michael dans un magasin de luxe, où Michael voudrait acheter un pyjama, mais seulement le haut, parce que dit-il les hommes ne dorment que comme ça. Et il insiste, sûr de son bon droit, en ne voulant évidemment payer que la moitié du prix, alors qu’il n’a eu affaire qu’à des vendeurs zélés. Celui qui s’occupe de lui n’en croit pas ses oreilles et alerte sa hiérarchie, initiant un réjouissant ballet qui se termine par un irrésistible gag de situation. Bien évidemment, Michael est séduit par la piquante Nicole, mais il trouve le jeu de la séduction assommant, disant que « c’est la bureaucratie du mariage ». En businessman occupé, il préfère user de ses moyens financiers. C’est ainsi qu’il va donner de puissantes armes à Nicole. Car, bien que courtisée par le timoré Albert (David Niven qu’il faut voir taper à la machine), Nicole tombe rapidement sous le charme de Michael. Tout irait donc pour le mieux dans le meilleur des mondes si Michael n’avait pas été marié 7 fois auparavant, s’il n’était pas aussi riche et … si Nicole n’avait pas son idée derrière la tête.

Bien que le film porte son âge (superposition d’images, discrète mais visible lors des séquences de mer), il reste une comédie intelligente et souvent jubilatoire. Les relations du couple Michael/Nicole évoluent de façon souvent imprévisible, pour la plus grande joie du spectateur. Nicole et Michael sont aussi amusants dans leurs tentatives de séduction que dans leurs chamailleries. Ainsi Michael devient lecteur pour meubler sa neurasthénie. Il tombe sur « La mégère apprivoisée » et quand il se décide à citer Shakespeare, ça fait mal. C’est un régal de le voir faire ses va-et-vient dans le couloir en arc de cercle de leur hôtel particulier.

On apprend également comment un couple peut décider de passer sa lune de miel en Tchécoslovaquie et pourquoi aller ensuite à Venise n’est pas forcément un bon signe. Le plan de Nicole est assez machiavélique. On peut se demander jusqu’à la fin si en voulant le beurre et l’argent du beurre, elle ne risque pas de perdre l’essentiel.

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le 12 déc. 2012

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