Poser quelques mots sur un film comme the Crowd n'est pas évident. Le film de King Vidor s'établit facilement comme l'un des meilleurs films de l'âge d'or du cinéma muet, et se révèle hilarant, attendrissant, et bouleversant.


Il s'agit là du parcours d'un jeune homme au rêve de gravir les marches de New York, et de devenir ce quelqu'un, cet homme qui marque les esprits, d'être le grand monsieur que son père voyait en lui. Puis, il rencontre Mary et tombe amoureux, il se marie.


Il n'est pas rare de se retrouver à sourire bêtement devant les ébats amoureux du jeune couple, tant leur sourire envahit la caméra, et paraît si sincère.


The Crowd peut sembler très simple.
Pourtant, ce n'est pas sans compter d'une part, de la qualité phénoménale de la réalisation de K.Vidor, la photographie et surtout les personnages. Le personnage de John est évidemment très attachant, souvent maladroit et ne peut se forcer à exercer comme profession ce qui ne lui plait pas. Ainsi, il veut régulièrement changer d'emploi, vivre sa vie comme il le souhaite, en restant qui il est.


Simplement, la Foule ne lui permet pas d'être qui il est, d'être heureux en somme. Ainsi, il se doit de répondre aux besoins matériels de son mariage, de trouver la stabilité au sein de sa profession, et surtout de ne pas paraitre ridicule.


Le film est en cela extrêmement intéressant puisque lorsque John se moque pendant la croisière du clown qui jongle, il est comme les autres. Il se rendra compte par la suite, qu'il ne rigolait que de lui-même. Ainsi réside l'apprentissage du personnage, peut-être que ce clown n'a pas la plus facile des professions, mais au moins, il est heureux. Peut-être qu'il se sent bien dans sa peau, et que ce n'est pas un pauvre type comme il semblait le dire.


Les railleries autour de John, lorsqu'il se regarde à diverses reprises dans le miroir sont bien révélatrices de l'importance de l'apparence au sein de la société moderne des années 20s-30s. Comment devenir quelqu'un si l'on ne se conforme pas au codes de l'entreprise, selon ce que l'on attend de nous ? Et bien, ce n'est pas possible, du moins pour devenir ce quelqu'un avec du "pouvoir".


Pourtant, lorsque John se laisse porter par les désirs les plus matériels, et commence à critiquer sa femme, à se moquer d'elle, il n'est plus le même. Dès lors, la relation ne peut plus fonctionner, il est transformé par la foule, et sa femme ne le reconnait plus.


La foule lui impose d'être comme les autres, de devenir indépendant financièrement, ce qu'attend donc également Mary.
Cependant, il ne doit pas trop changer, il doit rester qui il est, pour que sa relation reste saine.


La société est alors oppressante, elle suit John et ne le lâche plus une seconde. Le décès de sa fille attire les regards, puis le lendemain, il n'y a plus personne pour le réconforter et le soutenir.


Là est la tragédie, John ne peut pas se sentir bien ni rester le même lorsqu'on lui impose ce qu'il doit faire, ce qu'il doit entreprendre.
Il refusera ainsi toute proposition de son beau-père et beau-frère parce qu'il ne vit pas aux dépends de la société, cela ne lui ressemble pas, et cela même si Mary attend de lui de répondre à la sécurité financière de sa famille.


La solution réside alors dans le fait de quitter la foule et le monde, pour se retrouver. La scène de la conversation avec le fils est absolument magnifique, puisqu'au regard de son fils qui croit toujours en son père, John se rend bien compte qu'il n'est pas un lâche ni un malheureux : il est comme cet enfant qui n'est encore rentré dans la société mondaine, il ne souhaite que d'être heureux en ayant la possibilité de faire ce qu'il veut et de pouvoir apporter à sa famille réconfort.


Le rêve américain est évidemment remis en cause.
Le mariage est une institution qui conforme les époux à être des modèles préfabriqués, à répondre aux attentes de la société.
Sinon, l'époux n'est pas bon, et le divorce s'ensuit.
Là est toute la tristesse que Jim ressent, il est rêveur et ne se soucie guère de ce quotidien monotone auquel il semble lui être imposé.


Quand bien même il répondrait parfaitement aux exigences de l'époux modèle, sa relation amoureuse resterait-elle la même ?
A cette question, K.Vidor répond négativement en toute logique.
C'est parce qu'il refuse de changer que John pourra maintenir sa relation comme à ses débuts, et que les sourires se retrouveront, que cette flamme ne s'éteindra pas.


La transition rapide vers la fin du film, où Mary s'apprêtait à laisser John en est l'illustration. Il ne suffit que de quelques paroles, que d'un regard et d'un sourire, pour qu'elle s'aperçoive que l'homme qu'elle a aimé est le même. Il n'est pas comme les autres, mais elle le comprend, et pour lui comme pour elle c'est le principal.


John n'aura peut-être pas concrétisé tout ce que son père souhaitait qu'il devienne, mais il aura su trouver lui-même ses aspirations, et ses rêves. Il n'est que comme cela que la foule puisse être en cohésion, qu'elle se comprenne : la compréhension et l'attention portée à l'autre, la singularité du chacun la rendra magnifique à chaque instant.


Le cinéma comme le spectacle rassemble, et par le portrait de personnages à l'écran et sur scène, permet le processus d'identification, soit à chacun de se sentir compris, et non plus problématique.

William-Carlier
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le 18 avr. 2021

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William Carlier

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