La condition de l'homme, récit-fleuve à la durée monstrueuse de 9h30 divisé en trois parties, s'inscrit parfaitement dans la filmographie de Kobayashi, connu pour son humanisme et son anti-militarisme encore plus poussés que chez Akira Kurosawa. Ce film incarne à la perfection cette position politique aux extrêmes. Mais alors, que c'est long et pénible à suivre, le problème étant que ce cinéaste est un perfectionniste, et reprend le bouquin dans ses moindres détails. Sans avoir lu ce dernier, inscrit au patrimoine japonais (comme le film d'ailleurs), cette adaptation transpire en effet la transposition littérale, comme en témoignent l'hyper-théâtralité des dialogues et de l'interprétation, et la caméra statique, qui laissent assez peu de place à l'émotion dont ce film aurait bien besoin, en dépit de la gravité du sujet et de l'implication (variable) des acteurs. Dommage, car au fond, elle est bien cette intrigue qui met en scène Kaji, un jeune homme idéaliste et pacifiste envoyé en Mandchourie durant la seconde guerre mondiale avec sa femme, pour diriger une mine de charbon. Sa destinée d'homme va se jouer là-bas, tiraillée d'une part entre la théorie et son humanisme, et d'autre part la réalité du terrain avec l'exigence de ses supérieurs d'augmenter les taux de production au nom de l'effort de guerre. Se joue aussi l'établissement de son autorité.


Les enjeux et dilemmes moraux sont donc clairs, et ce film s'évertue à les opposer (de manière trop répétitive à mon goût) à travers différents protagonistes qu'on ne perd jamais de vue, notamment les prisonniers chinois et les prostituées. La posture anti-militariste du réalisateur est transparente, les soldats incarnant le recours ultime à la force, et le personnage principal, à l'image de l'allemand de La liste de Schindler, fera tout son possible pour éviter leur présence. Or, ce qui m'a fasciné, c'est de voir à quel point il est facile pour l'âme de se corrompre au contact d'un environnement donné, qui en est aussi la mesure, et peu importent les meilleures intentions du monde pour concilier les contradictions, notre humanité profonde exige parfois une décision tranchée. Un radicalisme d'ailleurs un peu trop appuyé qui pointe vers un certain misérabilisme (à la fin, on peut vraiment se demander ce qui peut arriver de pire au personnage principal), mais sans sombrer dans le manichéisme pour autant.


Cette première partie est donc riche en détails, dotée de personnages mis en valeur par des dialogues et des situations morales auxquels ils sont confrontés, où par exemple le troupeau de prisonniers chinois qu'on fait venir pour gonfler les effectifs de la mine finit par acquérir des visages humains différenciés, et où les prostituées (toutes les femmes en fait) montrent une force de caractère intéressante face au défaitisme des hommes, peu importe leur pays d'origine. Dommage que le déroulement soit si pompeux et redondant (plusieurs situations qui reviennent en boucle jusqu'à la rupture), sans presque aucune musique de fond, avec une réalisation austère qui donne parfois envie de se tirer une balle (par contre il y a un véritable boulot de composition de l'image, et un talent pour capter l'humanité ou l'abomination des moments-clés), et des séquences qui n'évitent pas toujours le ridicule involontaire (la drôle de prononciation des chinois, une révolution en mousse, ou cette foutue femme à la fin qui poursuit l'idéaliste avec son caillou). Dommage, car le sujet est au fond très beau, sur une époque peu traitée au cinéma de manière aussi profonde et ambitieuse, mais Kobayashi en fait juste un peu trop (encore une fois, la finalité m'a tué, qui peut se résumer ainsi : "ton humanité ou ton bonheur, fais ton choix").


Bref, ce premier film de la trilogie, portant sur les réalités sociales et politiques d'une mine de charbon, développe un sujet pas toujours passionnant à suivre, avec à la clé un drame bien chargé au rythme parfois tendu. Mais il a le mérite de très bien développer les dilemmes moraux et humains auxquels le personnage principal est confronté.

Arnaud_Mercadie
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le 15 avr. 2017

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Dun

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