Planquez vos malboros, la gamine chasse le mégot

En 30 secondes d’introduction, l’essence même de Paper Moon est livrée aux mirettes qui le contemplent. L’association subtile d’un contexte économique difficile faisant du quotidien un environnement peu favorable et l’ironie que se plaisent à lui opposer les âmes qui l’affrontent. Ouvrir son film par un champ / contrechamp entre le visage de poupée d’une jeune fille et la tombe où repose sa mère, fait l’effet d’un avertissement, qui, en première intention, a quelque chose de peu hospitalier.

Mais il est dans la foulée tempéré par l’arrivée en fanfare d’un trublion haut en couleur, qui remet alors en perspective la scène et sa symbolique morbide, en la tordant par l’ironie dont fait preuve le nouvel arrivant, d’une petite punchline destinée à la défunte, qu’il n’a pas connue longtemps, mais qu’il a bien connu semblerait-il.
Cette association de situations comiques sur fond de déprime économique ne quittera alors plus le film, Peter Bogdanovich parvient même par cette mécanique à transposer le climat dépressif des 70’s pour illustrer la grande dépression des années 30. Il utilise en effet les levées de bride que lui permet le nouvel Hollywood pour déconstruire totalement le mythe de la jeunesse innocente, met dans le bec de sa jeune actrice cigarettes et langage fleuri, puis renvoie le spectateur 40 ans en arrière au moyen d’une bande son d’époque entraînante et d’un noir et blanc très expressif, captant à merveille, et les étendues sauvages du Kansas ,et les visages des différents personnages qui apparaissent dans ce cadre monopolisé par le minois fripon de la petite Addie.

Sous ses airs de fable sociale à deux vitesses, Paper Moon est avant tout le portait de cette jeune fille, qui découvre dans les traits d’un escroc à la petite semaine une figure paternelle qui lui plaît bien. Fortiche en math dès qu’il convient de compter l’oseille, la jeune fourbe qui n’a pas la langue dans sa poche se met alors bille en tête de se tailler une place de choix dans le petit cœur qui bat sous la carapace intéressée de celui qui pourrait être son paternel, ce dernier tombant dans les filets de la petite pile électrique parce que cette dernière sait malgré tout se rendre attendrissante.

Mais c’est peut être là, dans cette relation un peu trop linéaire à mon sens, que Paper Moon trouve sa limite, en tout cas la mienne. Car si le film dans son ensemble est très solide, dans sa forme (très belle photographie de László Kovács), mais aussi dans sa narration qui ne souffre d’aucun bout de gras, la relation qui se joue à l’écran entre l’escroc, et celle qui pourrait être sa fille, paraît un peu forcée, voir un brin caricaturale. Voir la jeunette, par jalousie, évincer sa « rivale » en piégeant le réceptionniste de son hôtel, avant de mettre à mal quelques policiers bien balourds, fait un peu convenu, donne en tout cas l’impression que les traits de caractère de la jeune espiègle sont un peu trop appuyés. Et même si cette exagération est dans la logique du nouvel Hollywood et que voir, à cette époque, une petite fille de 9 ans tirer sur sa cigarette comme un routier combattant le sommeil a certainement fait couler beaucoup d’encre, elle donne tout de même l’impression d’être cavalière par moment (Addie aurait pu s’arrêter de crapoter après avoir éclusé son premier paquet).

Dans ce sens, la prestation de la jeune Tatum O’Neal, aussi remarquable soit-elle — elle s’en sort bien pour une pitchoune de 9 piges—, fait l’effet d’être un peu trop dirigée. On devine par moment le metteur en scène derrière des mimiques qu’on ne sent pas siennes, qui se bat pour obtenir ce qu’il souhaite. Personnellement, ça m’a un peu sorti du film, même si l’envie d’exagérer le personnage est on ne peut plus légitime. Pour autant, et c’est un sentiment étrange, de cette séance, je garde principalement en tête la voix éraillée de la jeune actrice, preuve que son personnage, aussi agaçant qu’il puisse être par moment, transmet véritablement du sentiment.

Bien plus par le fait que Peter Bogdanovich navigue dans des eaux qui me sont peu familières, je garde une certaine réserve vis-à-vis de ce Paper Moon, même si j’en apprécie la sagesse de ne pas sombrer dans un misérabilisme pompeux. Me restera en tête le souvenir d’un film maîtrisé de bout en bout, relevé à la perfection par une BO entêtante et habité par des acteurs qui ne rechignent pas à la tâche, à défaut de me sembler vraiment marquants. Même si je finis le film un peu mitigé, je suis convaincu que je ne suis pas prêt d’oublier ce Paper Moon, preuve en est qu’il y a tout de même quelque chose de singulier dans cette tranche de vie acido-comique pas comme les autres.

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Pour le coup, j'aurais aimé mettre 7.5 ^^
oso
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le 21 nov. 2014

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oso

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