C'est toujours agréable de découvrir un nouveau Kore-eda, la promesse d'un cinéma fin et intelligent dans l'écriture, s'attachant à l'humain et rappelant parfois le souvenir d'Ozu.


L'innocence ne déroge pas à la règle, même si ici il n'a rarement (voire jamais) été aussi politique, dans l'hypothèse où l'on peut vraiment définir ce qu'est un cinéma politique (ou du moins un film n'est-il pas forcément politique ? Bref, vous avez 4 heures!).


Ce qui frappe dans L'Innocence, c'est, au risque de déjà me répéter, la finesse et l'intelligence de l'écriture et de la mise en scène. Il s'empare ici d'un sujet difficile, une enfance où l'on ne se sent pas à l'aise dans les normes de la société, où l'on doute et s'interroge, et autour de ça, il va évoquer le harcèlement, le rôle des parents ou encore une société où la forme compte bien plus que le fond. Pour cela, il fait le choix de répéter trois fois une suite d'évènements mais variant le point de vue, rappelant à divers degrés des Kurosawa ou Ridley Scott qui ont brillé avec ce procédé.


Face à un tel choix, il est toujours intéressant de se poser la question de l'utilité, ou du moins du pourquoi, et ici ça permet d'abord de montrer l'immense biais que l'on peut avoir suivant qui on écoute ou suit dans une affaire. Il répète une partition qui va se modifier plus on découvre les différents points de vues, passant d'une vision à une dimension à du 3D où l'on a finalement accès à toutes les facettes du film et des évènements.


Et c'est fluide, la mise en scène ne tombe jamais dans la redondance, on passe d'un personnage et d'un point de vue à un autre sans jamais alourdir ou casser le récit, chaque moment ou presque est sujet à plusieurs interprétations possibles et n'hésite pas à user de la métaphore voire de la poésie pour donner des sous-textes à son film. L'exemple des deux gamins évoquant un retour dans le temps et une régression de l'humain, comme image du procédé de mise en scène est très pertinent.


Dans le fond, on sent qu'il essaye d'éviter tout manichéisme, qu'il évite de mettre des personnages dans des cases, ou du moins que la multiplication des points de vues va finir par contraster, et ça fonctionne. Plus le film avance, plus les rôles vont plus ou moins diminuer, si la mère est d'abord omniprésente (logique, on a son point de vue), c'est surtout la directrice qui va s'épaissir (et les gamins bien sûr), apportant une certaine ambiguïté, où chacun de chez gestes va être sujet à interprétation.


Il se sert des personnages pour évoquer la société, en général forcément, et japonaise en particulier, avec, à mon sens, comme réflexion principale, la place que l'on a dans la société, et la moindre sortie des "normes" promet une vie et acceptation sociale compliquée. On retrouve ce message partout mais jamais appuyé ou avec des lourdeurs, et lorsque les deux gamins parviennent à s'échapper dans leur monde, le film en devient poétique, il n'y a plus besoin de mots pour comprendre que leur bonheur ne sera jamais au sein de la société, mais en dehors.


D'une manière un peu moins forte, c'est aussi sur l'école, la dureté des gamins ou simplement une vérité qui ne sera jamais le plus important que Kore-eda axe L'Innocence. Les passages autour de l'enseignant sont symptomatiques d'une société qui se voile la face, et les mots de la directrice prennent régulièrement plus de sens sur ce que veut une société trop codifiée et le sort réservé à ceux qui sont mis à l'écart.


Kore-eda sublime le contexte de son film, l'école, la forêt, tant les intérieurs que les extérieurs, et chaque plan est soignée, il y a une science du détail qui va à merveille avec sa sens du verbe. Au final il se dégage de l'émotion du film, mais avec de l'humanité et de la pudeur, que l'on doit aussi à sa direction d'acteurs tant les comédiens sont très bons, tant les jeunes que les adultes.


Avec L'Innocence, Kore-eda signe une œuvre humaine et touchante sur une société qui n'hésite pas à marginaliser ceux qui n'entrent pas dans des normes toujours plus étroites, et dont le fond aura toujours moins d'importance que la forme, et il le fait avec sensibilité et intelligence, tant dans la mise en scène que l'écriture.

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le 5 janv. 2024

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Docteur_Jivago

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