On ne traite pas beaucoup du sujet de l’inceste dans le cinéma français, voire même mondial. Et pour cause, il s’agit d’un tabou, que l’on ne montre que très pudiquement, de façon cachée ou au travers de la figure d’un proche abusif. Et pourtant, en France, près de sept millions de personnes sont victimes d’inceste.

Comment faire alors pour parler d’une réalité que l’on élude très rapidement par fort embarras alors qu’elle existe et que sa simple évocation dans une œuvre de fiction fait quasiment systématiquement figure de transgression ?

Et bien, Catherine Breillat prend le taureau par les cornes et nous montre très frontalement ce que peut être une manifestation de l’inceste qui prend ici racine au sein d’une famille bourgeoise au travers du personnage d’Anne, avocate et juge pour mineurs respectée et renommée, jouée par Léa Drucker, et Théo, son beau-fils âgé de 17ans joué par Samuel Kischer.

Je dis une manifestation de l’inceste comme l’inceste prend différents visages et qu’il est aussi bon de rappeler que les personnes ayant été victimes d’inceste peuvent, dans certains cas, reproduire ce qu’elle ont vécu et que ce schéma semble être assez répandu .

Ce qui est très perturbant avec l’été dernier c’est la façon dont comment est montré l’inceste à l’écran, c’est à dire d’apparence heureuse et consentie, sans qu’aucune trace d’emprise apparente de la part du personnage d’Anne envers son beau-fils ne soient perceptibles.

Mais ça ne reste qu’une apparence. On comprend assez rapidement que les deux personnages centraux sont insatisfaits de leurs vies respectives, ils s’ennuient et se sentent seuls. Parce que oui, au-delà de la thématique de l’inceste, ce film est également un grand film sur la solitude des êtres et des désirs contrariés.

Et histoire d’en rajouter une couche face au malaise palpable que l’on peut ressentir en regardant ce film c’est qu’il se présente comme étant amoral, c’est à dire qu’il ne condamne ni fait l’apologie de l’inceste.

C’en est presque une approche sociologique qui montre à quel point il s’agit de quelque chose qui touche absolument tous les milieux sociaux et qui est bien plus banal qu'on ne peut le penser.

C’est quelque chose d’assez vertigineux quand on y pense, surtout que Breillat montre toutes les ambiguïtés existantes et brouille les frontières de ce qui peut relever du consentement ou non dans cette fiction entre ces deux personnages centraux.

Un jeune garçon solitaire, anticonformiste, presque majeur, et souffrant de sa solitude, dont la coquille aura été percée assez rapidement par sa belle-mère, montrés comme vulnérables tous les deux, semblant se comprendre mutuellement.

Dit comme ça, on pourrait croire que « l’été dernier » est une plaidoirie envers « l’inceste heureux" où le personnage d’Anne serait broyé par le poids de la honte en raison de ses sentiments incestueux, et que ne pas pouvoir vivre cet amour la fait souffrir, mais il n’en est rien.

On peut ne pas être responsable de ses désirs (qui l'est de toute façon ?) mais responsable de son attitude, de sa lâcheté, de ses peurs ou encore de ses sentiments, non pas pour répondre à une morale psychorigide mais pour cesser d'être complaisant envers soi-même et évoluer.

Chercher à tuer sa solitude en cédant à ses désirs et vouloir mettre en sourdine temporairement ses souffrances n'excuse pas toujours tout surtout quand c'est à des fins égoïstes et que la personne a la possibilité de pouvoir faire autrement.

Je n’en dirai pas plus, mais malgré le malaise profond que peut provoquer ce film, il ne fait à AUCUN MOMENT l’apologie de l’inceste et ne montre qu’une seule facette des très nombreuses formes de ce que peut représenter cette pratique, qui est ici, très complexe à décrypter et à comprendre, surtout quand nous nous débarrassons de nos filtres moraux.

Malgré son approche perturbante, l’été dernier est un film très peu aimable que j’ai beaucoup apprécié tant il pose des questions pertinentes par rapport à la conception que l’on peut entretenir à ce sujet, les interprètes sont excellents, même si je regrette que les personnages soient un brin caricaturaux.


EmptyName
8
Écrit par

Créée

le 16 sept. 2023

Critique lue 63 fois

2 j'aime

EmptyName

Écrit par

Critique lue 63 fois

2

D'autres avis sur L'Été dernier

L'Été dernier
Sergent_Pepper
3

Surplomb dans l’aile

Le retour de Catherine Breillat ne pouvait que se faire dans le souffre, elle qui a fait des sujets clivants le cœur de son œuvre. L’été dernier se décline ainsi comme une variation sur le Fatale de...

le 15 sept. 2023

31 j'aime

1

L'Été dernier
EricDebarnot
5

Provocation maladroite et cinéma daté…

Catherine Breillat n’a pas été épargnée par la vie, c’est le moins qu’on puisse dire : son retour à Cannes après un AVC et des années où elle a été sous emprise d’un homme qui l’a exploitée, avec un...

le 16 sept. 2023

15 j'aime

L'Été dernier
Cinephile-doux
7

Une liaison mineure

Pas sulfureux mais romantique, telle est la façon dont Catherine Breillat juge son propre cinéma, ce en quoi il est permis de ne pas adhérer. Qu'importe, disons que la réalisatrice est passée...

le 13 sept. 2023

13 j'aime

4

Du même critique

Blanche Gardin - Bonne nuit Blanche
EmptyName
6

Lave plus blanc que blanc.

Depuis son premier spectacle et plus spécifiquement son apparition dénonçant l'angélisme du monde du spectacle par rapport à l'affaire Polanski lors des Molières, Blanche Gardin s'est très rapidement...

le 21 oct. 2019

14 j'aime

2

Inio Asano Anthology
EmptyName
8

Critique de Inio Asano Anthology par EmptyName

Sortie le 31 janvier dernier en France, cette anthologie d’histoires courtes d’Inio Asano est la troisième du genre à paraître en France après Un Monde Formidable et La Fin du monde avant le lever du...

le 5 févr. 2020

13 j'aime

Les Passagers de la nuit
EmptyName
5

Comme à la radio

De quoi ça parle ?Ce film est une plongée dans les années 80 en France, une ode à la nostalgie et à un certain mode de vie propre à cette époque. Entre histoire d’amours plurielles et diverses qui se...

le 4 mai 2022

12 j'aime