« Le cinéma ment, pas le sport ». C’est avec cette citation de Jean-Luc Godard que s’ouvre ce documentaire tennistique consacré à John McEnroe. Mais ne vous méprenez pas, le joueur de tennis professionnel n’est pas le seul sujet du film. En se basant sur les enregistrements de Gil De Kermadec, ancien joueur et cinéaste qui se consacrait à l’enregistrement des matchs à Roland Garros, Julien Faraut étudie la question du cinéma dans le tennis et son rapport à la vérité. Mais contrairement aux chaînes de télévision qui se contentent de retranscrire un match avec la plus grande lisibilité, De Kermadec mettait au cœur de ses images, les joueurs et leurs mouvements. Sa muse… John McEnroe.


L’Empire de la Perfection est donc un film de montage et d’observation. Un film qui a conscience d’être un film puisque la majorité des images se conclue par un signe du capteur son de Kermadec indiquant la fin de sa prise. Chaque mouvement du tennisman est décortiqué, remonté, réétudié pour que l’on comprenne son jeu, mais aussi son rapport au tennis.


Mais qui est John McEnroe ? Les fans de tennis savent évidemment qui est cette légende du tennis américain qui détient encore le meilleur ratio de victoires sur une saison (96.47% en 1984) ainsi que sept titres du Grand Chelem. Mais McEnroe n’est pas un joueur comme les autres. Contrairement à son rival Bjorn Borg qui ne laissait transparaître aucune émotion sur le court (ce qui inspira Roger Federer), le joueur américain est plus sanguin…voire carrément outrancier. Pour McEnroe, le tennis est plus qu’un sport, c’est un duel à mort. L’homme ne vit que pour la victoire, pour le contrôle du match. S’il est dominé, s’il ne dirige pas la rencontre, il s’en prend au monde entier, il attaque les juges de lignes et l’arbitre, interrompt le match, insulte les caméramen.

Lorsque McEnroe entre sur le terrain, peu importe ses supporters, il sera seul face au monde.

Il est de ce fait, un des personnages les plus passionnants du tennis. C’est par ailleurs son comportement sur le terrain qui a inspiré Tom Hulce pour sa prestation de Mozart dans Amadeus de Milos Forman. Par conséquent, le jeu de McEnroe se définit souvent par une symphonie où chaque coup de raquette est une ligne mélodique qui se doit d’être parfaite. Le style de jeu de l’américain s’accouple parfaitement à cette métaphore musicale. Plus encore que chez les autres joueurs, les mouvements de McEnroe sont particulièrement précis et ne laissent jamais deviner quel coup il jouera. Son style de service-volée fait de lui un attaquant redoutable qui conclut la plupart des échanges en deux coups (pour rappel, le service-volée consiste à monter directement au filet après le service pour attaquer dès le retour de l’adversaire. Cette technique joue sur la rapidité de l’échange et n’existe quasiment plus depuis que les surfaces ont été retravaillées pour ralentir la balle).


En bref, le joueur devient la cible privilégiée des photographes et des cinéastes. Mais McEnroe ne joue pas pour les caméras, ni même pour le public. Il joue pour lui seul. Il déteste qu’on le prenne en photo, qu’on filme ses erreurs. Pourtant, chacun de ses mouvements ou pics de colère est retranscrit avec minutie par la caméra. On s’amuse de voir encore et encore des rushs de ses services et de deviner, en vain, où il mènera sa balle. Voici donc l’objectif de L’Empire de la Perfection dans ses deux tiers. Faraut construit le mythe McEnroe, le définit avec la plus grande précision pour mieux le déconstruire à la fin en évoquant la terrible finale de Roland Garros face à Ivan Lendl en 1984.


Au moment de cette rencontre, McEnroe en était à six titres en Grand Chelem, Lendl aucun. L’américain n’a jamais cessé de cracher son venin sur le tchécoslovaque, une haine féroce anime les deux hommes. Une opposition totale de style les sépare. Lendl est froid, méthodique, défend au fond du terrain tandis que McEnroe est incontrôlable, attaque sans cesse et s’emporte à la moindre occasion. La balance penche pour John qui domine durant deux sets comme à son habitude (pour rappel, il a remporté 96.47% de ses matchs cette année-là). La machine McEnroe est en marche et n'est qu’à six points de la victoire. Mais voilà que survient le drame. Alors que l’ensemble du match est monté comme un duel de pistoleros, le compte à rebours nous laisse entrevoir la durée d’un match qui ne cesse de s’éterniser. McEnroe souhaite en finir le plus vite possible, il perd peu à peu pied face à un Lendl qui gagne en assurance et rattrape petit à petit son retard. Le public qui jusqu’ici suivait McEnroe change de bord et soutient Lendl. Encore une fois, John est seul contre le monde entier.


1h30 devient 2h… 2h devient 3h… arrive la quatrième heure, McEnroe est éreinté. Les chances d’en finir s’amenuisent, chaque tentative est un échec, chaque coup de pistolet/raquette rate le coche tandis que le tchécoslovaque crible de balle son ennemi juré. La voix off de Mathieu Amalric nous décrit un McEnroe au bord du vide, luttant pour ne pas chuter.

Le coup final achève John, Lendl l’emporte. Les caméras se ruent sur l’américain qui les chasse avec sa raquette, furieux contre tous mais surtout contre lui. Pas d’épilogue ou de réconfort pour le héros de notre film. Le récit s’achève sur la tristesse, la déception, le ressentiment. L’Empire de la Perfection est un film qui révèle le moment précis ou un jeu parfait a perdu de sa splendeur durant trois petits sets. Trois sets qui l’auront enterré à tout jamais.


« J’en fais encore des insomnies… Je repense à ce match… je repense à ce que j’ai gâché… et à ce que serait devenue ma vie si j’avais gagné ».


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le 5 mai 2023

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James-Betaman

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