La Nouvelle Vague... Mais c'est quoi au juste la "Nouvelle Vague" ?

J'ai toujours eu un peu de mal avec ce courant du cinéma. Si dans les faits ce que cette vague a apporté au cinéma est d'une valeur inestimable, inspirant par sa transgression des codes de nombreux cinéastes de renom à l'international, les films en eux-mêmes m'ont toujours parus... stériles.

C'était le nouvel ordre qui balayait l'ancien monde. C'était le désir de déconstruction du fameux "cinéma à papa". C'était la genèse d'un nouvel art qui a bouleversé les codes formels et narratifs du cinéma. Et pourtant quand je regarde des films de la Nouvelle Vague, je ne vois que la simple déconstruction au service de la déconstruction. Ce petit caprice de sale gosse qui ne voulait rien faire comme les autres sans pour autant faire quelque chose à soi. J'ai d'ailleurs souvent classé ces films parmi les "exercices de style", novateurs et singuliers, mais terriblement inconsistants en tant que films. Il arrive parfois que j'y trouve mon compte, comme dans Le Mépris ou Lola, mais bien souvent ça m'ennuie tant cet état d'esprit a vite dépérit dans le temps...

(...au point où pratiquement toutes les figures de ce mouvement en sont eux-même revenus à un cinéma de papa...)


Puis il y a Alain Resnais.

Lui, c'est vraiment pour moi celui qui a su le mieux imposer sa singularité au sein de la Nouvelle Vague.

Là où Agnès Varda étalait ses caprices de bourgeoise dans Cléo de 5 à 7 et où François Truffaut tartinait ses dialogues de didactisme ronflant, Alain Resnais prenait le parti d'établir un cadre, une ambiance qui interpelle.

Pourtant dans les faits il est en plein dans l'état d'esprit Nouvelle Vague, avec sa narration floue, le tournage en extérieur, l'envie permanente de triturer les conventions. Sauf qu'à la différence de la majorité de ses compères, l’affranchissement des codes de l'époque n'est pas prétexte à la simple démonstration stérile. Resnais déconstruit mais surtout il reconstruit. Il s'approprie les codes pour les tordre et les mettre en branle dans un univers différent. Il crée de nouvelles fondations à partir du passé, sans le renier, pour ainsi construire son petit univers, sa petite atmosphère.

L'air de rien, ce n'était pas si courant dans la Nouvelle Vague. Généralement la logique était de faire table rase du passé et faire tout l'inverse de la mouvance de l'époque. Resnais agissait plutôt dans une logique d'apprendre - comprendre - reprendre, là où ses compères ne se contentaient que de la dernière étape.


Ainsi il y a des mouvements de caméra amples et pensés, des détails dans le blocking, des jeux d'ombres et de lumière, du relief, une photographie qui creuse des formes et des gueules. La liberté de ton permise par la Nouvelle Vague est ici au service de toute une nouvelle grammaire cinématographique, une toute nouvelle conception de l'émotion.

Et si en définitive ça ne rend le résultat que plus clivant, il faut cependant reconnaître que c'est particulièrement osé et pensé pour encore faire son effet aujourd'hui.

Tenez par exemple, je parlais d'ambiance chez Alain Resnais, ben dans L'Année Dernière à Marienbad (on y vient enfin) on est servis dès les premières secondes : voix-off qui se distingue au loin, visages inertes contemplant un hors-champ mystérieux, travellings discontinus qui apportent toujours un nouveau niveau de lecture et un froid assez malaisant qui se dégage des mimiques et interactions des personnages. D'entrée de jeu le film nous plonge dans une brume étrange, vaporeuse et un brin surréaliste qui questionne, mais qui grise.

Tout le long du film, il y a toujours cette question de l'apport de la prochaine scène, de la prochaine phrase, du prochain plan et parfois même du prochain mouvement. En éclatant totalement sa narration jusqu'à perdre le fil de la temporalité, le film devient imprévisible et terriblement pénétrant. Chaque nouvelle seconde est une avancée de plus en plus profonde dans cette épaisse brume qui nous perd.

Il y a tout un tas de trouvailles visuelles qui renvoient parfois à l'expressionnisme, et tout un tas de procédés expérimentaux mis en places à travers des artifices simples : une personne qui parle sans que ses lèvres bougent, une voix-off qui en plein milieu se retrouve réappropriée par un personnage à l'écran, une musique de fond hypnotisante et presque omniprésente, une mise en scène lente et froide.

Il y a ce côté irréel et lunaire qui me parle tout particulièrement. En à peine quelques astuces Alain Resnais a créé une grammaire bien plus riche que ses compères. En cela, L'Année Dernière à Marienbad constitue une expérience à part, déroutante, obscure, exigeante mais encore aujourd'hui unique en son genre.

Pour dire, je ne m'attendais pas à autant plonger dans ce mystère, au point où l'effet procuré par la progression dans l'abstraction la plus totale m'a complètement décontenancé sur son final. Ce genre d'expériences, je n'en compte que très peu.

Et si on peut trouver à redire sur le caractère assez arty de la démarche, il suffit juste de savoir passer au travers pour s'ouvrir à un expérience de cinéma entière et totale.


Comme quoi c'est dingue comment une simple réappropriation des anciens codes plutôt que la négation de ceux-ci peut amener à un résultat drastiquement différent et bien plus intemporel que de la transgression périssable. Me concernant l'expérience a été totale. J'ai été envoûté, dérangé, perturbé, et plus que tout marqué. Mon attrait particulier pour le surréalisme a sûrement joué en la faveur du film, mais dans les faits le constat est là : ça m'a ému et retourné. Donc il ne fait aucun doute que j'ai affaire là à un véritable chef-d'œuvre à inscrire dans mon panthéon. Ça vit en moi, ça hante mes pensées, ça me travaille, bref ça évoque plein de choses qui m'ont auparavant bouleversées.


En définitive il est difficile de savoir recommander ce film à tout le monde, tant celui-ci est atypique et déstabilisant. Néanmoins si même un hermétique à la Nouvelle Vague comme moi a su y trouver son compte au-delà de toute espérance, lui donner sa chance ne serait que la plus humble expression de bon-sens. ;)

temet-nosce
10
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Top 10 Films

Créée

le 26 avr. 2024

Critique lue 4 fois

1 j'aime

(temet-nosce)

Écrit par

Critique lue 4 fois

1

D'autres avis sur L'Année dernière à Marienbad

L'Année dernière à Marienbad
Stefan
10

C'est l'histoire d'une histoire qui s'est peut-être passée...

L'Année dernière à Marienbad est un film spécial, dans le sens où rarement un film n'aura été si désorientant, si perturbé, et cependant si beau. Bon, ça parle d'oubli, ça parle de rencontre, de...

le 16 oct. 2010

50 j'aime

2

L'Année dernière à Marienbad
Sergent_Pepper
8

Dans une vénéneuse et profonde unité.

La continuité entre L’Année dernière à Marienbad et Hiroshima mon amour est évidente : Resnais, sous l’égide d’un écrivain de renom, y explore la complexité amoureuse et l’expérimentation...

le 24 mai 2015

47 j'aime

2

Du même critique

Dogville
temet-nosce
9

Critique de Dogville par (temet-nosce)

Parler de Dogville c'est forcément parler de son exercice de style plus que déroutant. C'est lui qui déterminera si on accrochera ou non au film - en plus de si on arrive à supporter ou non la...

le 27 avr. 2024

1 j'aime

Un condamné à mort s'est échappé
temet-nosce
10

Critique de Un condamné à mort s'est échappé par (temet-nosce)

Ça a été mon premier Bresson et ça a été une claque. Je trouve cette plongée dans l'univers carcéral et la psyché du personnage principal juste parfaite. Le film a beau être simple et linéaire dans...

le 27 avr. 2024

1 j'aime

Rubber
temet-nosce
4

Pneu mieux faire

L'interrogation inévitable qui se soulève au lancement d'un film au pitch aussi étrange que Rubber consiste en la qualité sur le long terme. Comment un film sur un pneu serial-killer (excusez du peu...

le 24 nov. 2023

1 j'aime

1