Parler de Dogville c'est forcément parler de son exercice de style plus que déroutant. C'est lui qui déterminera si on accrochera ou non au film - en plus de si on arrive à supporter ou non la misanthropie typique de ce joyeux luron de Lars von Trier - car faire un film où les seuls décors sont des traits sur le sol pour déterminer les différents habitats et quelques lits, chaises, bureaux, et un clocher suspendu en l'air, indéniablement ça questionne. Comme tout exercice de style, à mon sens la seule question à se poser est celle de la pertinence de la démarche, savoir s'il ne s'agit que d'un petit délire gratuit ou d'un parti pris cohérent avec ce qui est raconté, et me concernant j'ai clairement saisi un intérêt dans la démarche qui m'aura conquis sur la longue. Ne pas avoir de décor permet plusieurs choses : déjà créer un inconfort et un malaise puisque, bien que ce ne soit pas le cas dans la diégèse, il n'y a aucune intimité. Tout se voit de n'importe où, à tout moment. Les agissements des différents villageois censés être seuls chez eux sont ainsi exposés à la vue de tous et ça renforce le sentiment d'oppression que subira de plus en plus Grace à mesure que le film avance, se sentant observée et jugée de n'importe où n'importe quand. Ensuite c'est bête mais ça rend le petit village de Dogville bien plus vivant. Voir en arrière plan des enfants jouer, une mère s'occuper de sa fille handicapée, des gens discuter autour d'une table ou travailler sur leur bureau, ça permet de davantage se projeter dans la psychologie des habitants, se familiariser avec les comportements de chacun d'entre eux, et de créer une vraie dynamique d'ensemble qui va de paire avec le fait qu'il n'y ait aucune intimité, comme si dans ce petit village reclus où tout le monde se connait depuis toujours sans connaitre personne d'autre il n'y a plus rien à cacher, et où les réactions dissimulées des gens sont révélées (il y a plusieurs scènes où ce procédé est utilisé avec tellement de pertinence que j'en ai eu les frissons... surtout lors du choix de Tom entre sa communauté et Grace). Enfin, ça crée un climat un brin surréaliste qui encapsule le village dans son propre monde coupé de tout, qui obéit à des règles différentes et qui semble totalement déphasé avec ce qui se passe à l'extérieur. Rien n'existe hors de Dogville, rendant l'atmosphère encore plus angoissante. En bref quand bien même dure-t-il trois bonnes heures, j'ai adoré Dogville, et bien que sa conclusion n'échappe pas à quelques petites longueurs je ne peux m'empêcher de saluer la démarche de Lars von Trier qui à mon sens n'aura jamais été aussi aboutie.

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le 27 avr. 2024

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