Sorti d’un songe sans rêve, le nouveau long-métrage du prolifique Hong Sang-soo s’inaugure sur des paroles sibyllines : « toutes les choses devant mes yeux sont une bénédiction […] seul le moment présent est le paradis ». Pour Sangok (Hye-Young Lee) – une actrice disparue revenant après de longues années en Corée du Sud, son présent se heurte à celui de son pays natal qui a continué à vivre sans elle. Durant une journée, elle traverse une société aussi familière qu’étrangère semblant se dérober face à elle, à l’instar de ces commerces étonnement vidés de leurs propriétaires. Le déracinement choisi par Sangok ébranle également sa relation avec sa sœur Jeongok (Yunhee Cho), devenue une quasi-inconnue dont les contours se discernent dans un brouillard de souvenirs lointains. Le présent est justement ce qui les sépare. Prise dans cette confrontation mémorielle, la protagoniste retrouve la maison de son enfance dont le jardin auparavant si immense lui paraît maintenant plus exigu, symbole d’un horizon raccourci.  


Malgré tout, le jardin reste un écrin de verdure dans une capitale coréenne uniformément bétonisée. Alors qu’il filme en contre-plongée des tours en construction, Hong Sang-soo recentre sa caméra sur les deux sœurs marchant vers un parterre de fleurs. Proposant une ville à échelle humaine, le cinéaste offre à ses personnages des refuges naturels où recueillir leurs émotions, comme cette passerelle permettant à l’ancienne actrice de fumer à l’abri des regards. Teinté de romantisme, l’espace naturel et/ou architectural devient progressivement autant l’expression des sentiments intérieurs de Sangok que le support d’un mysticisme verbalisé dans ses prières. Le sublime, interprété ici comme un état d’âme, réside dans la « bénédiction » qu’offre un quotidien dont la trivialité se meut en trésor pour celleux qui apprendront à l’explorer. Le titre Juste sous vos yeux est un commandement destiné aux spectateur.rice.s afin qu’iels cherchent dans les détails de l’image les révélateurs des non-dits des personnages. 

 

Lors de son rendez-vous avec Sangok, le cinéaste Jaewon (Hae-hyo Kwon), en admiration devant les rôles précédemment interprétés par l’actrice, déclare que « le secret de [son] authenticité était [sa] pureté ». Or, cette phrase décrit tout autant le cinéma de Hong Sang-soo, et particulièrement Juste sous vos yeux. Le minimalisme formel, dont l’épure sacralise le réel, encadre et magnifie la puissance des émotions qui se révèlent alors que l’alcool se montre libérateur. Le choix d’une image numérique prosaïque, pixellisée et surexposée, participe à cette valorisation d’un réel appréhendé à travers une neutralité esthétique technologique. Alors que la mort englobe insensiblement l’œuvre, la banalité du présent acquiert une aura sacrée à condition que la possibilité d’un futur s’estompe. Dans cette impasse, la douce cruauté de Juste sous vos yeux se manifeste : voir dans la mort menaçante la seule clé pour admirer les possibilités infinies du présent.   

Créée

le 21 sept. 2022

Critique lue 196 fois

7 j'aime

Contrechamp

Écrit par

Critique lue 196 fois

7

D'autres avis sur Juste sous vos yeux

Juste sous vos yeux
Contrechamp
8

La femme qui est revenue

Sorti d’un songe sans rêve, le nouveau long-métrage du prolifique Hong Sang-soo s’inaugure sur des paroles sibyllines : « toutes les choses devant mes yeux sont une bénédiction […] seul le moment...

le 21 sept. 2022

7 j'aime

Juste sous vos yeux
Virgule1
9

Conclure

En début d'année, en introduction pourrait-on dire, sortait Introduction de Hong Sang-soo : le film, qui était déjà en février le plus beau de l'année, annonçait parfaitement la suite de 2022, du...

le 20 nov. 2022

6 j'aime

2

Juste sous vos yeux
Cinephile-doux
7

Au jour le jour

Quel autre cinéaste que Hong Sang-soo pourrait se permettre une conversation anodine de près de 30 minutes, entre deux sœurs, pour ouvrir son film. Il est vrai que le temps est une notion flottante...

le 24 déc. 2021

5 j'aime

Du même critique

Silence
Contrechamp
4

Apocalypse Past

Avec Silence, Martin Scorsese laisse derrière lui l’ère DiCaprio chargée de fureur, sombre (Shutter Island, 2010) ou baroque (Le Loup de Wall-Street, 2013). Il marque une rupture nette avec ce...

le 7 févr. 2017

43 j'aime

10

Mademoiselle
Contrechamp
5

Cinquante nuances de Park Chan-Wook

En transposant le roman Du bout des doigts de Sarah Waters dans la Corée colonisée des années 1930, Park Chan-Wook se hasarde pour la première fois dans le genre du film d’époque. Une incursion qui...

le 18 oct. 2016

39 j'aime

8

Mon roi
Contrechamp
3

L’Amour est mort, vive l’Humiliation !

Le Cinéma français tue l’Amour ! Après en avoir fait un art – des obsessions rohmériennes aux mélodies d’Honoré –, il le dépèce sans vergogne de sa dramaturgie et de sa naïveté poétique pour n’en...

le 18 oct. 2015

33 j'aime

6