Une décennie sépare Jules César de Cléopâtre, mais c’est un véritable continent qui semble les distancier si l’on mesure à quel point un sujet similaire peut subir des traitements aussi divergents.
Lorsqu’on connait la passion de Mankiewicz pour le dialogue, ses lentes montées en puissance vers la révélation des êtres en conflit, le voir s’atteler à la langue de Shakespeare a tout du plat de résistance.
Jules César est donc le pendant ascétique du péplum Cléopâtre, entièrement rivé sur le langage et dévoué à ses comédiens, british jusqu’aux extrémités de leur toge. Ponctué de rares séquences en extérieur, le film s’attache aux échanges verbaux, aux débats politiques et moraux qui légitimeront ou non l’assassinat, la trahison et la vindicte. Tout, dans cette intrigue, concourt à la définition du grand homme : sa charge, ses choix, la maturation de ses décisions sont l’objet d’une réflexion qui se déploie au fil de tirades fascinantes et vertigineuses.
Face à elle, l’esthétique du cinéaste sera celle de l’écrin : modeste, mesurée, la caméra danse avec lenteur autour des personnages, la lumière accompagne leur ballet verbal pour en révéler les zones d’ombre et les coups d’éclat dans un noir et blanc somptueux.
Le plus littéraire des cinéastes était bien désigné pour réussir cette alliance entre théâtre et cinéma ; il est ici soutenu dans sa démarche par des comédiens d’exception, James Mason qui excelle décidément dans tous les registres, et Brando, absolument gigantesque dans son interprétation de Marc-Antoine. La célèbre séquence qui le voit s’adresser au peuple et le retourner contre les conspirateurs au fil d’une tirade admirable d’éloquence et de souffle est véritablement l’apogée du film. Dédiée à un seul homme, mais face à la foule, insistant sur un visage habité, mais construite en contrepoint d’un plan d’ensemble au bas de marches et convergeant vers le bûcher vengeur, c’est un modèle de construction narrative.
La réussite hypnotique de cette scène clé est à l’image du film : une alchimie presque inexplicable, proprement vibratoire, entre la richesse d’une langue atemporelle, l’incarnation de celui qui la profère et le tact de celui qui la restitue à l’image.

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Sergent_Pepper
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le 9 oct. 2014

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Sergent_Pepper

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