Violences sexistes, regard et écoute, folie ? : le film mature et intelligent d’un cinéaste promet

Ce troisième film du réalisateur australien, après Insidious 3 et Upgrade, est dans la continuité de son travail, entre innovation et maturité. Invisible Man est un film de science-fiction horrifique américano-australien adapté du roman éponyme de H.G.Wells (1897). Le réalisateur n’en est pas à son premier coup d’essai avec le film d’horreur puisque c’est un proche de James Wan, et il a notamment été scénariste des sagas à succès Saw et Insidious. Son premier film de science-fiction est son film précédent, Upgrade donc. Invisible Man, produit par la dès à présent légendaire Blumhouse Productions, apparaît alors comme un tournant dans la carrière du réalisateur qui semble avoir trouvé son propre chemin.


Nous suivons Cécilia Kass (Elisabeth Moss). Elle vit avec Adrian Griffin (Oliver Jackson-Cohen), un riche scientifique, génie dans le domaine de l’optique. Malmenée et manipulée, elle décide de le quitter un soir en pleine nuit avec l’aide de sa soeur Emily (Harriet Dyer). Deux semaines plus tard, alors qu’elle est toujours traumatisée et n’ose plus mettre un pied dehors de peur qu’il resurgisse, elle apprend qu’il s’est suicidé. Cependant, elle s’interroge sur sa mort. Peu à peu des sensations et des signes étranges se manifestent autour d’elle, comme une présence qui la terrorise et l’isole de son entourage.


Le réalisateur réinvente intelligemment l’histoire de l’Homme invisible de H.G.Wells en prenant le point de vue de la victime, ici une femme sous l’emprise de son compagnon, et qui a subi des violences sexistes. Dès l’introduction, le film commence par la fuite de l’héroïne de cette prison qu’est la villa rocheuse et tranchante d’Adrian, sans présenter la relation qu’elle entretient avec lui. Dans une mise en scène précise et à couper le souffle, nous comprenons instantanément les enjeux de Cécilia et nous partageons l’expérience de cette relation abusive. S’ensuit alors une longue chasse acharnée à la femme par la présence de cet homme invisible. Il la réduit au silence. Il s’occupe de la faire passer pour une “femme hystérique”. Là où le film est important, c’est qu’il parvient à nous dire avec sincérité que la réalité des violences sexistes (ici conjugales) est elle-même traumatisante et horrifique. Partant de la réalité pour raconter l’horreur, le film n’est pas sans rappeler Swallow (2019) de Carlo Mirabella-Davis ou encore Get Out (2017) de Jordan Peele, qui font résonner les mêmes cordes.


Pourtant, la notion de folie du personnage de Cécilia qui ne peut pas prouver ce qu’elle voit (ou plutôt ce qu’elle ne voit pas) est sans cesse remise en question. Le doute s’inscrit dans nos esprits de spectateurs pendant un long moment : l’homme invisible existe-t-il vraiment ? ou est-ce une manifestation imaginaire de l’esprit traumatisé de Cécilia ? Cette atmosphère pertinente est subtilement créée à travers des plans particulièrement bien pensés et efficaces. La mise en scène s’accorde pourtant à nous rendre imperceptible un potentiel corps hostile en filmant des espaces vides à de multiples reprises, tout en jouant avec des bruits extrêmement fins, mais non moins inquiétant qui nous induit toujours une présence, résultant dans plusieurs séquences angoissantes de home invasion. On cherche alors des indices, des mouvements, des choses à voir, alors que tout ce qu’il y à voir se trouve sur le visage véritablement terrorisé de Cécilia (interprétée par une Elisabeth Moss toujours incroyable). Et même si nous pouvons douter de sa folie, nous devons l’écouter. Or, son entourage finit par céder au doute et à ne plus vraiment l’écouter. Et c’est là où la réflexion prend son ampleur : le réalisateur utilise l’invisibilité comme étant l’invisibilisation des femmes victimes de violences sexistes/conjugales qui ne sont pas écoutées et qui en sont réduites à des femmes folles.


Invisible Man est un film horrifique important qui utilise avec brio un sujet actuel en réinventant l’histoire de l’homme invisible tout au profit du genre. Dans la maîtrise des techniques cinématographiques formelles de l’image et du son dans lequel le réalisateur s’illustre, c’est aussi une maîtrise cinéphilique qui vient s’ajouter au film : passant du home invasion movie, au slasher, à la science-fiction, ou encore au rape and revenge movie, Leigh Whannell témoigne d’un amour du cinéma. Malgré une dernière partie qui sort un peu de la qualité du reste du film, on pardonne largement ce cinéaste de son temps qui semble particulièrement prometteur. Invisible Man questionne le regard et l’écoute, les violences faites aux femmes, et propose réellement un chemin pertinent du cinéma d’horreur.


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le 22 oct. 2020

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