Le voyage mouvementé qui effleure le désir, l’amour et le temps : un film-vivant sublime et innovant

C’est en plaçant le corps de la caméra près des danseuses et danseurs lors des répétitions du spectacle Crowd de Gisèle Vienne (Rave party des années 90 : électrisante, ralentie, violente et disloquée) que Patric Chiha cherche à se perdre. Lorsqu’il découvrit le spectacle de Gisèle, son amie de lycée, il fut attiré par le mystère labyrinthique et humain que les corps en mouvements étalaient sur la scène. Alors, il est venu chercher. La réponse n’a pas d’intérêt ici, il veut se perdre et questionner.


C’est dans cet élan d’attraction, en accord avec les corps de la représentation, que le film échappe au piège de la simple captation. Le spectacle n’est pas simplement transmis. Au contraire. Il est découpé, précieusement assemblé au montage, après avoir été capturé par la caméra, avec un désir extrême. Celle-ci est à parfaite distance des danseurs. On entre au cœur des répétitions, souvent en plan rapproché, dans les différents décors qui constituent à eux une bulle intime d’expression : sur scène, en coulisses, dans des salles de bain ou chambres d'hôtel. Les dialogues naturels et murmurant en dehors de la scène et les répétitions de danse saccadés et débordant d’énergie créent un sublime mélange.


On est alors asphyxié par la pureté et la force des mots inégalablement vrais et sensible qui s’échappent de la bouche de tous ces non-acteurs. Au même moment, notre corps se met progressivement à brûler comme les leurs lorsqu’on les voit s’abandonner, se remplir d’extase. En pleine extraction de leurs souffrances intimes par le mouvement libérateur de la danse, les musiques rythment ces airs techno hypnotiques qui rendent la nuit éternelle.


Sans frontière de genre, on voyage dans un univers trouble. Les histoires créées pour les personnages qui interprètent les danseurs pour le spectacle, et leur propre vie, sont mélangés. Nous sommes constamment plongés dans une double dimension indéfinissable et infiniment questionnable sur les distinctions entre ce qui est réel et ce qui tient de la fiction. Hors, c’est là que prend parti le réalisateur. Il se libère à la fois de la fiction et du documentaire, sans vouloir donner de réponse, car il n’en a pas, il n’en veut pas. Le film trouve la voie de l’universalité en touchant le sensible qui se cache entre peaux et gestes. On se questionne sans cesse sur les récits trop intimes pour être filmée, mais qui le sont pourtant, sur les non-dits, et sur les relations de cette micro-société passionnée.


Si c’était de l’amour est un film unique et précieux qui nous touche incontestablement. On entre dans une temporalité nouvelle où les corps au ralenti se rapprochent sans cesse à une vitesse violemment discontinue. L’implosion de désir émane de tous les corps et parvient jusqu’à nous. Les secrets intimes de ces êtres magnifiques à l’écran viennent embarrasser notre esprit discret et briser le pacte du secret. On est alors absorbé par une œuvre bouleversante et débordante d’émotion. Patric Chiha exprime l’amour magnifique entre Gisèle Vienne et ses danseurs. Entre Gisèle et lui. Il innove avec cette forme entre le spectacle vivant et le cinéma, à travers nous.

Psukhe
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le 11 mars 2020

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Psukhe

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