De quoi parle Holy Motors ? Difficile de répondre du tac au tac à cette question tant la dernière œuvre de Leos Carax sort des sentiers battus cinématographiques contemporains avec un regard parfois pessimiste, amer (aigri ?) sur la place de l’humain dans un monde virtuel sans visages. Holy Motors est un film mortifère qui aux premiers abords nous gratifie de son chant du cygne sur disparité de la vie, de la fatalité promise d’une mort prochaine, de ce cinéma virtuel vénéneux prenant le pas sur la pureté des émotions, de ce métier d’acteur à la schizophrénie vertigineuse. Ou tout simplement, Holy Motors est un film sur la vie, un film vivant voyant notre existence comme un jeu de rôle continu explorant les différentes facettes de l’être humain passant d’une sensation à une autre, critiquant une société d’apparence invisible et indivisible.


Une même entité, pour différents visages, différentes personnalités, différentes obsessions. Chacun verra midi à sa porte comme le veut l'adage. Une chose est sure, c'est qu'il est difficile de ne pas être fasciné par cette imagination débordante. Difficile aussi et inapproprié de parler de cette œuvre sans rendre hommage à Denis Lavant, se donnant corps et âme pour une prestation qui ne tombe jamais dans la surenchère d’effets cabotins. Quoi de mieux que le cinéma pour éclairer le miroir de l’ambivalence humaine. Holy Motors n’a sans doute pas envie d’être expliqué, ce n’est pas un long métrage qui avance d’un point A vers un point B. C’est un long métrage qui se vie, se regarde, se ressent. Le film de Leos Carax touche souvent au sublime d’un point de vue visuel, c’est beau, très beau même, avec quelques petits miracles comme durant cette scène slow motion ou durant cette sérénade avec Kylie Minogue. La première séquence nous plonge face à une salle de cinéma pleine à craquer qui ne bronche pas, hypnotisée par ce qu’elle est entrain de visionner.


Soudain le plan change, un homme se lève (Leos Carax) de son lit, contemple la pièce dans laquelle il dormait tel un spectre qui se serait perdu dans un espace-temps, et à l’aide d’une protubérance qui se trouve sur son doigt, ouvre une porte lui permettant de rejoindre le balcon de cette même salle de cinéma. Que regarde-t-il ? Son film ? Les spectateurs ? Lui-même ? Holy Motors vient tout juste de commencer et le charme opère avec cette entrée en matière fantasmagorique apostrophant les fantômes de David Lynch ou David Cronenberg. Dès lors, les rouages scénaristiques de films à sketchs d’Holy Motors semblent se mettre en place. Déambulant à la vitesse de cette limousine blanche luxuriante conduite par Edith Scob (Les yeux sans visages), Holy Motors nous fait vivre la journée d’un homme incarnant neuf rôles. C’est son travail. On passe de personnages en personnages, de style cinématographique à un autre, de tonalité à une autre, du réel au surréalisme. On y voit deux acteurs qui font semblant de copuler, un homme crasseux et primitif en érection devant Eva Mendes, un homme qui tue son double, un père mourant, une sdf roumaine, un amant disparu, un activiste politique meurtrier, deux amants qui poussent la chansonnette, un mari mariée à une singe, des limousines qui parlent.


Une seule chose est identique : ce sentiment de perte, de mort. Un père qui voit l’innocence de sa fille face à la cruauté de sa génération, la perte d’un être cher, la perte de soi même dans un combat fratricide mortel, la perte du regard, la perte de la beauté de la pellicule. Mais Holy Motors est une œuvre paradoxale, qui semble ne pas exister également, remettant en cause la véracité des conséquences de nos propres agissements. Derrière cette perpétuelle originalité, cette envie de toujours de se renouveler, de faire que son film vive à chaque instant comme si c’était le dernier, Holy Motors semble parfois souffrir d’un manque de fougue évident, étouffé par un dispositif s’ankylosant dans une symbolique qui prend le pas sur l’immersion. Trop de créativité, tue la créativité peut-on dire. Mais c’est aussi dans ce sens-là que veut nous amener Holy Motors. Un peu à l’image de l’humain, Holy Motors est parfois beau et laid, sublime et ridicule, autocentré et généreux, doux et ténébreux, sombre et drôle, imparfait et génial à la fois. Et tout cela n’est qu’un rôle…

Velvetman
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le 4 mai 2015

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