Her
7.6
Her

Film de Spike Jonze (2013)

Pour tout dire, Her est typiquement le genre de production que je préfère fuir habituellement. Et je reconnais fort volontiers que je me suis lancé dans son visionnage avec une certaine appréhension. Spike Jonze, déjà, est un réalisateur qui ne m'inspire guère confiance depuis que j'ai vu son incapacité à exploiter au mieux un scénario original (Being John Malkovich, pour ne pas le nommer, est un film sans intérêt malgré son concept fort). Her présente les mêmes caractéristiques en tirant sa force de son scénar ; la mésaventure a toutes les chances de se répéter. Et puis, le scénario parlons-en ! La simple lecture du pitch a eu le don de me faire sourire : une histoire d'amour entre un homme et son ordinateur, ça sent bon la mièvrerie à plein nez. Je ne parle même pas de cette affiche hideuse, de ce personnage principal qui semble si pathétique avec sa moustache et ses chemises douteuses... Her, c'est sûr, j'allais détester, cela ne pouvait en être autrement... Et pourtant, je dois reconnaître avoir été agréablement surpris par sa simplicité formelle, la finesse de son propos et par le questionnement qu'il soulève. Le film a des défauts, et il n'exploite pas tout le potentiel de son scénario, mais il demeure passionnant dans sa représentation de la société et des rapports humains.


Il y a quelques années le film Gattaca nous présentait une société futuriste qui se voulait être parfaite, gommant les aspérités humaines à grands coups de recherche génétique. Her, d'une certaine façon, reprend la même idée mais en la mettant en scène d'une manière beaucoup plus sournoise. Avec son film, Jonze nous parle d'un futur tellement proche de nous qu'il se conjugue déjà au présent. Et c'est cela le plus troublant ! L'univers SF est très discret, on n'est pas dans une vision anxiogène du futur comme peut le présenter Blade Runner : la société qui est décrite ici n'est qu'une petite extrapolation de celle que l'on connaît aujourd'hui ! On retrouve ainsi une société qui tend à devenir aussi lisse que celle voulue par Gattaca, aseptisant aussi bien l'environnement que les relations humaines.


Ainsi ce Los Angeles futuriste est une mégalopole incroyablement paisible, calme, sans pollution, sans misère, sans violence ! Comme si tout ce qui pouvait venir salir l'image de la ville avait été gommé ou caché à notre regard. De même, l'appartement du personnage principal, Théodore, semble aussi être calqué sur ce modèle de perfection apparente : tout est lumineux, propre et bien rangé. Évidemment, la petite vie des différents habitants est régie par les mêmes règles : il n'y a pas de débordement excessif (pas d'alcoolisation, pas de revendication ni même de haussement de ton !). La vie est entièrement codifiée, uniformisée. l'Homme devient un mouton qui suit le troupeau sans réfléchir, il est de plus en plus conditionné par une société qui va même jusqu'à lui dicter ses propres émotions ! Il n'est donc pas étonnant que des individus comme Théodore accepte qu'un système d'exploitation, qu'une intelligence artificielle, vienne guider sa vie. Il n'est pas non plus étonnant que ses proches soient si peu surpris en apprenant la romance entre un être humain et une machine. Il y a déjà bien longtemps que la société a enclenché son processus de déshumanisation : depuis de nombreuses années, on préfère converser avec son portable plutôt qu'avec la personne en face de nous, tout comme cela fait longtemps que l'on mène une vie égocentrique, sans se préoccuper de ses voisins. Her ne fait que prolonger cette vision des choses, en nous la présentant de manière crédible, sans discours alarmiste ou moralisateur. Là-dessus, c'est très fort !


La déshumanisation des rapports entre les personnes, et notamment sur le plan sentimental, est abordée assez finement dans le film (même si tout cela n'est pas toujours bien exploité). Ainsi, l'idée d'illustrer ce propos en utilisant une fable, qui verrait un homme tomber amoureux de sa machine, est assez intéressante mais relativement périlleuse. Jonze contourne bien le problème en représentant Samantha, la machine, uniquement à travers une voix. Ainsi, on a l'impression d'assister à une romance classique où les échanges se feraient uniquement par téléphone. On y croit, car le réalisateur respect sobrement les codes de la rom com et son acteur principal, Joaquin Phoenix, y est parfaitement convaincant. Seulement, en refusant de donner un corps à Samantha, le film tourne rapidement en rond et l'histoire se résume vite en un long monologue qui peine à combler les deux heures du métrage. Certains passages sonnent creux, d'autres flirtent avec le mièvre. Dommage, car on aurait pu avoir un grand film.


Mais au-delà de ces quelques défauts, Her a le mérite d'illustrer assez pertinemment la dérive entreprise par notre société : la déshumanisation des échanges, le commerce des sentiments, le conditionnement de notre existence. Il a également le mérite de porter un regard critique sur l'Homme, sur nous-mêmes, révélant nos travers, nos angoisses et nos ambivalences, avant de nous inviter à nous questionner sur notre individualisme, sur notre solitude et sur notre rapport aux nouvelles technologies. Sur ce point, et contrairement à de nombreux films de SF, Her nous interpelle en nous montrant une machine ne voulant pas asservir l'Homme mais qui, au contraire, va s'en détourner, avant de l'ignorer totalement. C'est comme si tous les efforts de l'Homme (pour jouer à Dieu) étaient voués à l'échec. Il ne peut créer un monde factice pour atteindre le bonheur ou combler sa solitude. La solution réside peut-être, comme la laisse supposer la dernière image, dans un retour aux valeurs humaines ! Croire au réel, malgré ses contraintes, avant qu'il ne soit trop tard !


Procol Harum

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