Opus parmi les plus célèbres de la franchise James Bond, GoldenEye découlait à sa sortie d’un long processus de development hell. En cause, les déboires financiers de la MGM, des conflits légaux entre la MGM et EON Productions sur les droits da la franchise 007, les décès de Richard Maibaum (scénariste historique de la saga) et de Maurice Binder (responsable du visuel des génériques d’ouverture), le passage de pouvoir progressif d’Albert R. Broccoli (propriétaire principal de la franchise) à sa fille Barbara Broccoli et à son fils adoptif Michael G.Wilson à la tête d’EON Productions, un dernier opus Permis de tuer jugé trop violent par la critique et pas suffisamment rentable par la MGM, et bien sûr, l’effondrement de l’Union soviétique, adversaire historique de l’agent 007. Dans un tel contexte, il fallut pas moins de six ans à EON Productions pour parvenir à lancer la production d’un nouvel opus, cette fois basé sur une histoire originale imaginée par le scénariste Michael France et, pour la première fois, non adapté d’un écrit de Ian Fleming. Six années durant lesquelles Timothy Dalton, devant l’annonce d’un contrat le liant à la franchise pour quatre opus de plus (soit plus de dix ans à jouer encore les espions), renonça à réendosser le smoking du célèbre agent secret pour privilégier les planches, sa première passion, cela au profit de Pierce Brosnan, qui huit ans auparavant vit le rôle lui passer sous le nez pour être attribué à Dalton. Un juste retour des choses pour Brosnan, jeune acteur d’origine irlandaise qui, loin de ce que sa belle gueule pouvait laisser croire, n’a pas eu la vie facile, entre misère familiale durant son enfance, discrimination due à ses origines irlandaises et deuil de sa première épouse. Le rôle de Bond, comme on le sait, lui donnera la crédibilité nécessaire pour voir sa carrière décoller et lui permettre d’accéder ensuite à des rôles de premier plan (Thomas Crown, The Tailor of Panama, The Ghost Writer) et de créer sa propre société de production. On appréciera d’ailleurs sa petite réplique en référence à Bond dans son dernier film, la comédie lourdingue Netflix, Gangsters par alliance.


Réalisateur méconnu, remarqué pour son Absolom 2022, Martin Campbell (premier réalisateur américain de la franchise) hérita quant à lui de la lourde tâche de succéder à John Glen (réalisateur de cinq films James Bond d’affilée de 1981 à 1989) et réaliser ce 17ème opus. Un opus qui, s’il n’était pas un opus anniversaire, avait tout d’un tournant pour la saga puisqu’il devait à la fois crédibiliser son nouvel interprète dans le rôle de Bond, mais aussi, resituer les aventures du personnage dans un contexte géopolitique post-guerre froide. À ce titre, Pierce Brosnan se montrait tout aussi charismatique que monolithique, l’acteur ayant alors visiblement dans l’idée de renouer avec la personnalité taciturne, brutale et sentimentale du James Bond défini par Timothy Dalton (aspect que Daniel Craig reprendra lui aussi à son compte). D’où un manque flagrant d’expressivité de Brosnan, lequel attendra finalement l’opus suivant, Demain ne meurt jamais, pour se montrer plus à l’aise, cruel et cynique, et plus drôle aussi, son James Bond devenant un parfait compromis entre la rugosité de celui de Dalton et le charme de celui de Roger Moore.


Cette refonte de l’univers de 007, si elle n’impliquait pas de grands changements au niveau des figures historiques de la saga telles que Q et Moneypenny, ni même une continuité évidente avec les anciens opus (le Bond de Brosnan peut tout au plus passer pour celui incarné par Dalton), fut aussi l’occasion de moderniser un autre personnage, celui de M. Le patron de Bond, autrefois incarné par Bernard Lee puis Robert Brown, devenait ici une femme de pouvoir à la répartie cinglante et à l’esprit aussi bien aiguisé que redoutable, qui ne cachait d’ailleurs pas son antipathie pour Bond « une relique misogyne et sexiste de la guerre froide » selon elle. Très bien interprétée par Judi Dench, cette Barbara « M »awdsley aura la particularité de devenir plus tard un tout autre personnage, Olivia « M »ansfield, à la même fonction de directrice du MI6, durant l’ère Craig.


Bien sûr, les bons méchants participent aux meilleurs James Bond (imaginez donc Dangereusement vôtre sans Christopher Walken) et se voient toujours affublés d’hommes de mains plus ou moins mythiques. Ici, un peu à la manière de May Day autrefois incarnée par Grace Jones (ou de Fatima Bush dans Jamais plus jamais), il s’agissait d’une femme de main, Xenia Onatopp, interprétée par une Famke Janssen tellement mémorable qu’elle éclipsera l’autre James Bond girl, Izabella Scorupco. Le regretté Gottfried John joue quant à lui, le général renégat russe Ourumov, savoureux d’expressivité cruelle. Il est à noter que l’acteur allemand, grand habitué des planches, avait déjà joué dans un Bond, le Rien que pour vos yeux de 1981 le voyant jouer un vilain sbire dans la poursuite à ski (le jeune Charles Dance y faisait aussi de la figuration). Le rôle du "grand méchant" Alec « 006 » Trevelyan (du nom du membre de comité de censure anglais John Trevelyan, véritable bête noire des Broccoli) échoira quant à lui à un autre recalé du rôle de Bond, Sean Bean (qui avait déjà joué les méchants dans Jeux de guerre face à Harrison Ford). Bean aura fait suffisamment bonne impression aux Broccoli pour voir son rôle de bad guy réécrit pour être adapté à son âge et sa belle gueule (à l’origine, Trevelyan devait être l’ancien mentor de Bond, possiblement incarné par Anthony Hopkins ou Alan Rickman). Son jeu s’avère quelque peu figé mais son charisme est tel qu’il reste parfaitement crédible dans la rivalité liant son personnage à celui de Bond.


Sorti dans les salles fin 1995, GoldenEye bénéficiera d’une exposition médiatique particulièrement bien pensée (la chanson-titre de Tina Turner écrite par Bono et The Edge monopolisera les ondes) qui lui assurera un beau succès, suffisant pour relancer la franchise (et ce même si le génial Die Hard with a vengeance de John McTiernan le détrônera au box-office américain). A posteriori, GoldenEye reste, avec Demain ne meurt jamais, le meilleur opus de l’ère Brosnan, un quatuor de films partagés entre la noirceur des James Bond de Dalton et un côté plus fantaisiste (Demain ne meurt jamais), digne de l’ère Moore, et s’acheminant vers le ridicule le plus complet (Meurs un autre jour).


Pourtant, impossible aujourd’hui de fermer les yeux sur les quelques défauts de GoldenEye, le film pâtissant de problèmes de rythmes évidents et d’une intrigue somme toute assez classique (avec une vengeance au cœur de l’histoire et un énième MacGuffin en guise d’enjeu, le fameux « GoldenEye ») mais qui avait pour elle d’appuyer habilement sur les fantômes de la guerre froide pour mieux s’en affranchir. Considérant la tradition des opus précédents, le film de Campbell met aussi très peu de gadgets à disposition du héros (ce qui n'est pas un mal en soit) et lui offre même le volant d'une BMW Z3, superbe, mais qui ne sert à rien, et de la mythique Aston Martin DB5 de Goldfinger, lors d'une séquence de course/flirt pied au plancher avec la Ferrari de Xenia.

Le plus gros problème du film est qu’il est régulièrement desservi par le score faiblard d’Eric Serra. Des scènes entières de GoldenEye se voient ainsi aligner des dialogues sans grande passion, débarrassés de la moindre note de musique. Et quand la musique se fait enfin entendre, c’est soit à une orchestration du thème mythique de Monty Norman qu’on a droit, soit à une resucée des sonorités utilisées par Serra sur Léon, type "coups de barres de fer" ou autres expérimentations au synthé. Seule la mélodie accompagnant l’affrontement final sortira du lot, mais il faut bien avouer que l’absence d’un score digne de ce nom nuit beaucoup au film. Les Broccoli ne feront pas deux fois la même erreur, et confieront les scores de leurs films suivants à David Arnold (jusqu’à Quantum of Solace), un compositeur autrement plus compétent en compositions et directions orchestrales.

Autre problème, la love story entre Bond et Natalya n’est jamais crédible, la programmeuse russe tombant soudainement amoureuse de l’espion (comme bon nombre de ses prédécesseures) sans raison véritable. Leur séjour idyllique à Porto Rico ne fera que renforcer l’aspect fake de leur romance, à l’image de cette plage reproduite en studio où Bond et Natalya flirtent gentiment sous un coucher de soleil en matte painting. On appréciera d’ailleurs au passage, le plan bien inutile sur la petite culotte d’Izabella Scorupco lorsqu’elle se tient debout devant un Pierce Brosnan assis, en pleine introspection. Les James Bond étant des films sexistes par essence et nécessité (le public masculin en est la cible principale), ce n’est pas l’arrivée de Judi Dench en M ou l’avancée du féminisme dans les années 90 qui changea vraiment la donne dans GoldenEye. À ceci près que les violences et autres abus misogynes (voir les nombreux scandales de l’époque) semblaient trouver alors écho dans l’attitude paradoxale du méchant, Trevelyan. Alors qu’il se livre presque à un viol sur Natalya lors de leur rencontre dans le train, celle-ci lui flanque une gifle à laquelle il ne répond curieusement pas par l’agressivité (ce qu’aurait fait n’importe quel bad guy imbu de lui-même). Quelques scènes plus tard, Trevelyan s’interpose même pour empêcher Boris de gifler la James Bond girl. Une attitude que l’on pourrait voir comme découlant du contexte de chacune des deux scènes, mais qui traduit aussi certainement une directive des producteurs.


Ces considérations morales mises à part, GoldenEye se distingue du panorama cinématographique de l’époque en étant un des derniers "gros" films réalisés à l’ancienne, avec cascades véritables, maquettes et effets de plateaux. Ce qui transparait évidemment beaucoup à l’image mais participe aussi à son charme. D’autant plus que le film de Campbell bénéficie de quatre des scènes d’action les plus mémorables de toute la saga. La première sert d’exposition et voit Bond se jeter du haut d’un barrage, avant d’en découdre avec les soldats d’Ourumov puis tenter le diable en rattrapant un avion en chute libre pour fuir ses poursuivants. Particulièrement impressionnant pour son époque, ce morceau de bravoure s’imposait alors comme la scène pré-générique la plus spectaculaire de la franchise.


Le second morceau de bravoure du film reste bien évidemment cette course-poursuite en char, aussi improbable que destructrice, dans les rues de Saint-Pétersbourg et qui aura à elle seule enthousiasmé tous les spectateurs de l’époque (la promotion du film la mettait régulièrement en avant). À côté de ça, on a toutes les scènes avec Famke Janssen qui composait ici un personnage de tueuse sadomasochiste, dont on se souvient surtout de la dangerosité dans cette scène assez drôle et mimant une scène d’amour où Bond, loin de prendre son pied, se voyait plutôt broyer les lombaires par la force de constriction des cuisses de la belle tueuse.

Mais la meilleure scène à mon sens, celle que j’attends toujours en revoyant le film, est cette confrontation finale entre 006 et 007 au sommet de l’antenne-satellite (en vérité le radiotélescope d’Arecibo). La séquence du pugilat entre les deux hommes, brutale et particulièrement bien chorégraphiée, a aussi pour elle de révéler un parti-pris visuel intéressant qui ferait école quelques années plus tard. Filmée en caméra portée, au plus proche des gestes et des coups des acteurs, la scène ne faisait que préfigurer les empoignades musclées des futurs Jason Bourne. Quant à la mort de Trevelyan, elle reste parmi les plus mémorables et spectaculaires, renforcée par ce dernier échange culte « Pour l’Angleterre James ? » « Non. Pour moi. »


Pas étonnant dès lors que Martin Campbell fut à nouveau approché par les Broccoli en 2006 pour relancer (une fois encore) la franchise James Bond dans un panorama cinématographique à la concurrence rude (les Jason Bourne, les Mission Impossible, le Batman Begins de Nolan). Avec Casino Royale, Campbell adapta sa mise en scène aux canons de son époque pour réaliser, là encore, un des meilleurs films de la saga. Il reste le seul cinéaste à pouvoir s’enorgueillir d’avoir ressuscité par deux fois, et sous deux incarnations différentes, le célèbre agent secret.

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le 8 sept. 2023

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Buddy_Noone

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