Il était une fois le stade terminal pour De Palma. Exilé en Europe après l’expérience désagréable de Mission to Mars où les studios Disney se sont fait envahissants, Brian De Palma reprend la main pour exécuter la pire de ses 21 réalisations populaires (mettons de côté Mafia Salad et les films du début, quasiment inconnus ou introuvables). Il y retrouve une totale liberté et élabore seul l’écriture. Le résultat est un festin des restes d’un De Palma se permettant tout dans la mise en scène, absolument sans aucune vision et en tournant en ridicule tout ce qui pourrait exister sans l’image.


Ainsi il habille un programme bouseux d’un cortège d’effets clinquants mais extrêmement désuets, voir carrément ringards. De Palma a pu s’amuser avec des films de commande ou emmener très haut des matériaux pré-rédigés, en y imposant son emprunte en toute impunité (Carrie, Les Incorruptibles, Le Dahlia Noir). Peut-être frustré par l’échec du Bûcher des vanités où il faisait part de ses convictions et donc s’ouvrait personnellement, Brian aligne depuis les échecs commerciaux et artistiques. Ici, il semble complètement lâcher l’affaire : à quoi bon faire quelque chose à la hauteur de son génie, quand on peut faire l’étalage superflu de son maniérisme ! De l’auto-pastiche à l’auto-parodie, la frontière est ténue.


Cette succession linéaire de clips léchés et inertes se justifie par une histoire d’identité multiple greffée autour d’une héroine ‘sexy’ fuyant d’anciens acolytes qu’elle doublait lors d’un hold-up à Cannes sept ans auparavant. Plan-séquence scabreux, long et grand twist entre j’men foutisme et grandiloquence, version indigente du Boléro de Ravel, tout s’étire en laissant le naturel reprendre le dessus sur un désir manifeste de sabotage. De Palma se souscrit aux attentes de l’hétéro beauf de base, il offre de la lesbienne et du zoom sur cul galbé dans son short militaire, comme d’autres le gag grivois, mais il faut croire que ces touches d’érotismes sont sciemment étouffées [le coup du ciseau, même pas digne d'un téléfilm 'rose'].


En voulant refaire le coup de Snake Eyes en ouverture (avec une dimension Mission impossible cheap), De Palma synthétise tout ce que sera son film : épate, crétinisme, tics et archétypes grossiers, charme dérisoire, mauvais mauvais goût. Le cinéaste abuse des mises en abyme et ne sort le grand jeu sur la mise en scène que pour une espèce de Tueurs nés stone, sans grande variété et sans éclats. Enfin De Palma trouve dans le contexte français et cannois l’opportunité d’exprimer sa vision du franchouillard chic. C’est parfois assez inquiétant tant on flirte avec le réalisateur français au style basique s’encanaillant. Voir tous ces acteurs français issus de la fiction télé ou du nanar d’action renforce cette désagréable sensation. De là où il est, sûr de l’efficience de son service minimum (ce qui est relativement juste), De Palma se fout totalement de ce qu’il raconte.


Les dialogues sont d’une violente connerie, le paroxysme étant atteint lors de la rencontre en avion. Il n’y a aucune essence pour ses personnages ; pré-mâchés par les codes du film noir (que De Palma entend rénover), il n’ont même pas la consistance des héros de bande-dessinée. C’est simple, le casting, en s’efforçant de se projeter dans des enveloppes vides, est unanimement médiocre, même s’il n’en est pas responsable. Il n’y a guère qu’Edouard Montoute pour tromper quelque peu ce système, ce qu’il doit à un rôle absolument égal à ceux auxquels on l’a souvent cantonné (dans Taxi par exemple). La prestation d’Antonio Banderas est le support d’une large part de ces délires étranges dignes du potache suicidaire parsemant le film : ses imitations de la folle ou de l’accent mexicain laissent dubitatif.


Résultat, de grands moments de solitude, pour eux, pour lui, pour nous. Une série Z friquée, clinquante mais dégarnie, où De Palma ne fait durer aucun autre plaisir que le sien et celui, sans doute, de fans jusqu’au-boutistes. L’homme de Blow Out et Body Double pourrait néanmoins être chargé de booster les franchises Lara Croft et Resident Evil, car Femme fatale s’approche de ces univers. Le cas De Palma laisse dans l’expectative : faiseur rigolard, concepteur dans le déni, soit, mais quel est l’intérêt de devenir un cinéaste malin et nonchalant quand on a été un géant ? Il y a dans Femme Fatale le début d’une débandade digne des Ferrara ou Argento de la même époque (années 2000). Avec des projets plus sérieux (Redacted) ou soignés (Le Dahlia Noir), De Palma va remonter la pente, mais quelque chose s’est fêlé.


http://zogarok.wordpress.com/2014/11/03/femme-fatale/


http://zogarok.wordpress.com/tag/brian-de-palma/

Zogarok

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