Falstaff
7.5
Falstaff

Film de Orson Welles (1965)

We have heard the chimes at midnight

On le sait, Welles a toujours éprouvé une profonde admiration pour William Shakespeare ; et c'est sans doute avec ce film qu'il l'exprime le mieux à l'écran. Car au lieu de se lancer dans une adaptation classique, comme il a pu le faire auparavant, il va s'inspirer de quatre pièces différentes afin de restituer avec force l'univers propre du célèbre dramaturge. Mais au-delà de l'hommage d'un artiste envers son père spirituel, Falstaff peut également se voir comme l'esquisse d'un autoportrait : " Falstaff c'est moi ! " disait Welles et on peut facilement le croire tant les similitudes sont nombreuses entre le personnage et l'homme qui l'incarne. Même physique imposant, même finesse d'esprit et surtout même vision du monde. Car si le film emprunte bien souvent les allures d'une farce, pleine de bruit et de fureur, c'est pour mieux nous délivrer une réflexion toute wellesienne sur la vie, l'homme et le pouvoir.




Welles est Falstaff ! C'est une évidence, bien sûr ! On ne voit que lui, on n'entend que lui ; et rapidement une confusion se fait dans nos esprits entre ce personnage bouffon et le cinéaste lui-même. Le grand tour de force de Welles se situe bien là, dans sa capacité à s'être réapproprié l'univers shakespearien sans jamais le dénaturer ! Ainsi, derrière l’excentricité et la bonhomie du personnage, ce sont les paroles de Welles que l'on entend, ce sont ses propres sentiments qui transpirent à l'écran !




Alors forcément, la relation qui s'instaure entre Falstaff et le prince Hal, l'héritier de la couronne, va rapidement prendre une double signification. On y voit, bien sûr, l'ébauche d'une relation père/fils qui va permettre au futur roi de connaître les vrais plaisirs de la vie et d'être sensibilisé aux valeurs humanistes. Mais on peut y voir également l'ébauche d'un discours testamentaire qu'un vieil artiste adresse au monde et aux jeunes générations. Welles se met presque à nu et se dévoile à demi-mot. Lorsque Falstaff se met en scène dans la formidable scène de l'auberge, c'est bien la voix du cinéaste que l'on entend avant tout : il veut bien reconnaître ses erreurs et sa vie pleine d'excès, mais il ne regrette rien, bien au contraire. Car une existence tiède et morne n'est pas une vraie existence ; il revendique haut et fort son comportement outrancier, ses débordements en tous genres, son goût immodéré pour les plaisirs de la table et de la chair. Cette philosophie de vie, épicurienne et généreuse, il souhaite bien sûr la transmettre à la nouvelle génération pour qu'elle puisse, à l'image du prince Hal, s'en servir pour mener une vie pleine d'humanité. Seulement, il sait bien que le monde qu'il a connu n'existe plus aujourd'hui !




"We have heard the chimes at midnight". La réplique prononcée par un Falstaff fatigué, dans un univers glacial, symbolise à la perfection ce constat. La jeunesse, insouciante, de notre homme est maintenant révolue. Ses beaux jours, ensoleillés et radieux, sont loin maintenant. L'obscurité se fait sentir et envahit dorénavant l'écran. La scène de la bataille, filmée à la Eisenstein ou à la Kurosawa, vient achever les dernières utopies de notre homme et traîner dans la boue ses rêves d'avenir. Le film prend alors une étonnante coloration sombre et amère. Si on a pu être un peu dérouté par le rythme frénétique imposé par le montage, on termine le film totalement ému par le chant du cygne de ce personnage hors norme ! À la suite d'un plan-séquence suffisamment bien exécuté pour renvoyer à ses études le premier Iñárritu venu, Welles laisse définitivement tomber le masque et murmure de touchants adieux à l'innocence et à l'enfance. Le silence a remplacé les rires et les tintements de verres, la solennité a succédé à la légèreté, il peut dorénavant quitter la scène sans regret ; il a vécu !

Créée

le 26 avr. 2023

Critique lue 11 fois

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Procol Harum

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