Générique de fin, soulagement, rictus et sortie de salle: Je retourne enfin au réel après deux heures de FAUX !
Faire du vrai avec du faux, c'est un des nombreux aspects propres au cinéma me direz-vous à juste titre. Seulement, En Corps fait plus fort: du faux avec du faux, en pensant faire du vrai !

Le film s'ouvre sur la tenue imminente d'un ballet de danse classique. Les acteurs qui défilent en coulisse, se préparent et se maquillent, sont éclairés par des lumières bleues légèrement tamisées; le tout se veut déjà très esthétique, mais pourquoi pas, c'est une mise en contexte presque agréable, si l'on occulte le gros plan sur le visage d'Elise, et son jeu un peu forcé pour nous faire comprendre qu'elle découvre avec stupéfaction que celui qu'elle aime la trompe avec une autre danseuse.

Le spectacle commence, Elise rejoint le reste de sa troupe qui est déjà sur scène, et on se laisse haper doucement par la danse de Marion Barbeau jusqu'à sa chute, puisque c'est le sujet du film. L'évènement est plutôt vite expédié et ce n'est pas plus mal, étant donné le nombre faramineux de scènes de chutes prévisibles, et filmées au ralenti, qui nous reviennent en mémoire lorsqu'on fait l'inventaire de l'histoire du cinéma.
On devine alors le scénario, à peine voilé, qui se dessine: Une grande danseuse qu'une blessure irrémédiable va contraindre à changer de voie.

Scénario, certes absolument éculé, mais auquel on laisse la possibilité de s'éclipser pour faire la part belle à la narration et à la mise en scène, qui sont, somme toute, les composantes essentielles à une expérience intellectuelle et esthétique. Le scénario faisant rarement l'oeuvre, contrairement aux deux autres. D'autant que c'est mon premier film de Klapisch. Tout est envisageable.

Songeur et curieux, devant les effets de distortion visuelle et scènes de danse classique sur fond de metal, qui opèrent à l'écran en guise de coupure entre le prologue et l'histoire que l'on s'apprête à suivre.

Les attentes sont rapidement revues à la baisse lorsqu'on découvre François Civil qui surjoue un énième rôle mal écrit, auquel l'acteur semble cantonné. La faute à une palette extrèmement limitée ou à des précédents rôles peu inspirés qu'il traine en fardeau ? Probablement quelque part entre les deux se trouve la vérité.
Sourire forcé et yeux écarquillés, l'acteur interprète un imbécile dont le seul intérêt est d'injecter, à intervalle régulier, une dose de rire au spectateur, sans quoi ce dernier risquerait de s'ennuyer. Klapisch estime probablement que le public est aussi con que les personnages qu'il façonne, et je dois dire que les rires provoqués toutes les dix minutes dans la salle par des blagues surécrites m'ont poussé à me demander s'il n'avait pas raison.

Cependant, je m'interroge plus encore sur Klapisch lui-même: Comment peut-on réaliser un film aussi prétentieux avec un tel niveau d'écriture ? Il enchaîne les poncifs sans la moindre hésitation et se paie le luxe de cocher toutes les cases des tendances petites bourgeoises du moment. Du développement personnel néolibéral jusqu'au féminisme passé à la machine à laver.

Elise doit se relever après un évènement tragique qui l'empêche de danser ? La clé est de croire en soi et de profiter des ondes positives que lui procurent les faire-valoir qui l'entourent. Car les autres protaganistes ne sont que des coquilles vides. Ils n'ont pas d'existence en dehors de la vie d'Elise. Ils ne sont qu'un moteur à son histoire et ne dégagent aucune profondeur. La mère décédée n'a d'autre but que de rajouter la dose de mélo que tout mauvais film croit indispensable. Le reste de la famille ne tourne qu'autour d'elle, les soeurs sont présentes sur une séquence assez courte qui n'apporte rien, alors que le père incarne le cliché du veuf qui communique mal avec ses enfants. Ses amis sont sympa, comme doivent l'être les amis, et les hommes sont tous amoureux d'elle.

Si l'écriture est catastrophique, la direction des acteurs n'est guère plus reluisante. Lorsqu'on regarde en amont la distribution des rôles, tout porte à penser que le film va tourner au cauchemar. Et ça ne manque pas: avoir pris une danseuse professionnelle comme actrice principale est probablement la seule idée du film. Pour le reste, les bons acteurs que sont Podalydès et Pio Marmai ne parviennent pas vraiment à relever le niveau. Muriel Robin s'inscrit quant à elle, dans la même catégorie que François Civil, cantonnée, par ses piètres prestations et une mauvaise écriture de son personnage, à un jeu stéréotypé. Elle incarne, de façon très peu originale, la vieille fille, seule mais endurcie, donneuse de conseils - fort heureusement gratuits. Un stéréotype assez éloigné des idées féministes dont le film se revendique pourtant ouvertement à quelques reprises. Cependant, pour Klapisch, il s'agit moins de revendiquer un féminisme en tant que tel, que de montrer que c'est un sujet dont il s'empare pour témoigner de son progressisme. C'est un féminsme passé à la machine à laver, qui ébauche pourtant une idée intéressante lors de la scène de photographies de mariées, mais dans l'unique but de poser l'archétype d'un personnage secondaire. Il n'est pas question de parler de féminisme, c'est un nouveau prétexte pour le scénario.

Le réalisateur n'accorde pas d'importance particulière aux scènes du quotidien ou aux dialogues, puisqu'ils se résument à des gros plans et champs/contre-champs. Ces instants sont filmés de manière assez quelconque et répétitive, ce qu'on peut regretter puisqu'ils composent la majeure partie du film. Ils ont deux objectifs principaux: faire rire et/ou distiller une pseudo-morale sous-jacente.
Quant à la danse, objet supposément central du film, on ne s'y intéresse finalement qu'à la marge. Tout comme les personnages secondaires, elle n'est qu'un moyen pour dérouler une histoire de reconquête de soi.
Les scènes de danse, hors introduction et une partie de la danse finale, sont dénuées d'intérêt, elles ne sont données à voir que par bribes et sont sans cesse coupées au montage par souci de rythme. Pourtant le film aurait gagné à les faire durer et à fixer la caméra afin de confronter le spectateur à une performance artistique et aux émotions qu'elle peut susciter.

Enfin, Klapisch, en grand cinéaste qu'il pense être, tente de donner une forme léchée à sa production. Il veut filmer en cassant les codes, mais ça ne prend pas, car cela manque de personnalité et d'inventité. Se limitant donc souvent à de la prise de vue semi-aérienne ou à des séquences clipesques, à mi-chemin entre la publicité et le clip de musique au ralenti, procédé routinier du cinéma sans idée. La scène au bord des falaises, en Bretagne, est digne d'une promotion vidéo pour une marque de tentes bien connue. Tous les codes publicitaires y sont réunis, sans que cela soit ne volontaire.
Dans la même veine, la séquence de retrouvailles dans Paris, vers la fin du film, pourrait aisément être placée entre deux mi-temps d'un match de foot, sans que personne ne s'imagine qu'elle n'a pas été réalisée pour un équimentier sportif.

Hypno5e
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le 14 mars 2023

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