Ame(s) errante(s)

C'est avec curiosité que je suis allé voir le film de Mathieu Amalric. Si je connais plutôt bien l'acteur, je n'avais encore vu aucun de ses films en tant que réalisateur. J'étais passé à côté, ce à quoi je vais remédier après avoir vu Serre moi fort.

Autant le dire de suite, Vicky Krieps est une grande actrice, en plus d'être belle. Dans Bergman Island, elle dégageait déjà ce quelque chose d'une beauté sobre et naturelle, séduisant par sa simplicité et sa vulnérabilité. C'est encore le cas ici. La caméra tourne autour d'elle tout du long. On la voit tantôt heureuse, tantôt triste, ivre, ou sobre. Quelles que soient les émotions, elle nous emporte inévitablement avec elle.
On l'écoute aussi, car sa voix douce et presque imperceptiblement éraillée et son léger accent allemand ne laissent pas insensible.

Le film s'ouvre sur le départ de Clarisse, quittant sa famille dans l'aube naissante, sans laisser de trace. Loin de céder au récit éculé d'un couple qui se retrouve après le départ d'un des deux, Amalric choisit la radicalité. Elle part et ne reviendra pas. Mais alors qu'elle pensait se libérer en fuyant ses obligations familiales l'empêchant de se réaliser, c'est elle qui subit le départ. Elle se voit dépossédée de son choix et doit faire face au deuil. De personnage actif, responsable d'une action et de ses conséquences, elle devient passive, et doit subir ce face à quoi elle est absolument impuissante. Dès lors, elle ne cesse d'être une âme errante.

Amalric nous immerge justement dans les errances de son personnage, mélangeant les temporalités, n'hésitant pas à livrer un scénario un peu décousu. Il imbrique, dès le début du film, des sons ou des images du plan précédant dans le suivant, ce qui accentue encore la confusion. Ce joli procédé aurait pû se limiter à de l'esthétisme brut, mais prend son sens lorsque Clarisse imagine son mari et ses enfants sans elle, vivre la vie qu'ils auraient menés après son départ.

Il est cependant un peu dommage qu'Amalric ne soit pas allé au bout de son idée de confondre le réel et l'imaginaire. Lorsqu'il choisit de nous montrer Clarisse parlant les yeux fermés, pour nous faire comprendre qu'elle imagine ce que l'on voit, cela enlève du charme au récit pour venir clarifier une situation qui n'avait pas besoin de l'être. Par ailleurs, la scène où elle se substitue à la mère d'une gamine qu'elle pense être sa fille paraît quelque peu éculée, et n'apporte pas grand chose à son personnage, que l'on sait déjà un peu perdu.
Mis à part ces quelques élements, le nombre de plans différents peut surprendre, puisque c'est un film assez sobre, mais ils sont bien amenés et pensés, ne tirant pratiquemment jamais vers le mélodramatique, chose difficile pour un film avec un tel sujet.

La musique classique occupe aussi une grande place, et si on peut avoir peur, au départ, qu'elle ne se fasse trop intrusive et parasite, elle habille finalement plutôt bien les scènes, d'autant que cela fait écho à la passion d'un des personnages pour le piano.
Il est agréable de constater que le film sait prendre son temps. Le rythme n'est pas particulièrement lent, mais laisse suffisamment de place aux personnages pour exister et les rendre crédibles à nos yeux, chose facilitée par des dialogues toujours assez justes et bien écrits (Amalric oblige).

Par son agencement et ses personnages, Serre moi fort possède cette capacité à faire remonter en nous les émotions de souvenirs brumeux que l'on pensait ne plus pouvoir revivre, lestés d'une douce mélancolie.